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dans les armes, et combien, lorsqu’elle est ainsi comprise, elle élève notre profession au-dessus de toutes les autres, et peut laisser digne d’admiration la mémoire de quelques-uns de nous, quel que soit l’avenir de la guerre et des armées. Jamais aucun homme ne posséda à un plus haut degré cette paix intérieure qui naît du sentiment du devoir sacré, et la modeste insouciance d’un soldat à qui il importe peu que son nom soit célébré, pourvu que la chose publique prospère. Je le vis écrire un jour : — « Maintenir l’indépendance de mon pays est la première volonté de ma vie, et j’aime mieux que mon corps soit ajouté au rempart de la patrie que traîné dans une pompe inutile, à travers une foule oisive. — Ma vie et mes forces sont dues à l’Angleterre. — Ne parlez pas de ma blessure dernière, on croirait que je me glorifie de mes dangers. » — Sa tristesse était profonde, mais pleine de grandeur ; elle n’empêchait pas son activité perpétuelle, et il me donna la mesure de ce que doit être l’homme de guerre intelligent, exerçant, non en ambitieux, mais en artiste, l’art de la guerre, tout en le jugeant de haut et en le méprisant maintes fois ; comme ce Montécuculli qui, Turenne étant tué, se retira, ne daignant plus engager la partie contre un joueur ordinaire. Mais j’étais trop jeune encore pour comprendre tous les mérites de ce caractère, et ce qui me saisit le plus, fut l’ambition de tenir, dans mon pays, un rang pareil au sien. Lorsque je voyais les rois du midi lui demander sa protection, et Napoléon même s’émouvoir de l’espoir que Collingwood était dans les mers de l’Inde, j’en venais jusqu’à appeler de tous mes vœux l’occasion de m’échapper, et je poussai la hâte de l’ambition que je nourrissais toujours, jusqu’à être prêt à manquer à ma parole. Oui, j’en vins jusque-là.

Un jour, le vaisseau l’Océan, qui nous portait, vint relâcher à Gibraltar. Je descendis à terre avec l’amiral, et en me promenant seul par la ville, je rencontrai un officier du 7me de hussards, qui avait été fait prisonnier dans la campagne d’Espagne, et conduit à Gibraltar avec quatre de ses camarades. Ils avaient la ville pour prison, mais ils y étaient surveillés de près. J’avais connu cet officier en France. Nous nous retrouvâmes avec plaisir, dans une situation à peu près semblable. Il y avait si long-temps qu’un Français ne m’avait parlé français, que je le trouvais éloquent,