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arriver à l’analyse morale. Il a déshabillé ses matelots de leurs paletots goudronnés, pour nous faire voir leur cœur à travers leur poitrine ; et cette sorte de spiritualisation, il ne l’a point bornée à l’homme ; il l’a étendue jusqu’à la chose. Il a su faire d’un vaisseau un être vivant auquel on s’intéresse pour lui-même. Il a trouvé l’ame du navire comme celle du marin. Quant à la vérité, il ne faut certes pas chercher ses matelots dans la marine américaine de nos jours. La marine américaine n’est, aujourd’hui, qu’un ramas de déserteurs, de renégats et de pirates, qui, repoussés par toutes les nations, ont trouvé droit d’asile sous le pavillon de l’Union. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Les premiers marins de l’Amérique du Nord furent les descendans de ces rigides puritains qui allèrent chercher sous les forêts du Nouveau-Monde une place libre pour poser leurs genoux et adorer Dieu à leur manière. Ce sont ceux-là que Cooper a voulu peindre. Du reste, aux lecteurs qui veulent la vérité absolue en toute chose, je dirai de n’ouvrir ni le Pilote, ni le Corsaire Rouge, ni l’Écumeur de Mer. Ils ne l’y trouveront pas. La vérité absolue n’existe point dans les arts, car les arts ne sont autre chose que l’expression de ce qui émeut dans les objets. Avec la vérité absolue on ne fait point de tableaux, mais des figures de géométrie.

Maintenant, j’ajouterai que, de tous les types de matelots créés par les trois auteurs dont je viens de parler, aucun ne me semble se rapprocher autant du marin breton, que ceux de Cooper. Si vous voulez retrouver des Tom Coffin, allez à Concarneau, à Locmariaker, à Bréhat ; là encore vous rencontrerez quelques vieux contre-maîtres en retraite, incarnations décrépites de notre marine à l’agonie, et qui vous rappelleront ce caractère à la fois pieux et guerrier. Seulement, Cooper ne vous a point tout dit ; dans sa poétique personnification de Tom Coffin, il a fait abstraction de l’enveloppe. Il a retourné l’homme de mer comme un gant, pour vous montrer seulement son ame. Cette belle figure du matelot de l’Ariel, il faut que vous la barbouilliez un peu de goudron et de jus de tabac ; il faut que vous fassiez sortir de sa bouche autant de jurons que de maximes philosophiques, et que vous y fassiez couler le grog comme dans le bondon d’une barrique vide. Alors, vous aurez le matelot breton, sauf quelques teintes, sauf ces légers linéamens de visage qui n’empêchent pas la ressemblance.

Quoique plus gai et plus insouciant que ses frères de la terre ferme, le matelot armoricain a conservé une forte trace de la gravité originelle. En mettant le pied sur le pont d’un navire, si vous entendez éclater des rires, se croiser des quolibets ; si tout cause, chante, siffle et se moque, soyez sûr que vous avez devant les yeux un équipage provençal. Si au