Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/441

Cette page a été validée par deux contributeurs.
435
INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

mes regards sur cette foule confuse et variée dans laquelle on voyait s’agiter pêle-mêle les habits de toile blanche des Bretons ; les blouses bleues des Normands et les vestes brunes des Poitevins ; je me plaisais à suivre les chevaux qui quittaient à chaque instant le champ de foire pour aller s’essayer sur la lande voisine, lorsqu’en regardant plus près de moi, mes yeux s’arrêtèrent sur une magnifique jument, placée à peu de distance de la porte de l’auberge, et dont la beauté me frappa. Elle appartenait à la forte race que nourrit le Léonnais, et tout en elle respirait cette vigueur calme et sûre d’elle-même qui semble être le cachet de tout ce qui naît sur le sol de la Bretagne. Je ne pus m’empêcher d’exprimer mon admiration au tavernier, qui se trouvait à mes côtés.

— C’est un bel animal ! monsieur, me répondit-il ; aussi M. Michel a dit qu’il l’aurait à tout prix.

— Qu’est-ce que M. Michel ?

— C’est le maquignon avec lequel vous causiez ce matin.

Je me rappelai, en effet, avoir déjeûné avec un homme frais et blond que j’avais remarqué à son accent normand et à la politesse avec laquelle il s’emparait des meilleurs morceaux à table.

— Et qu’attend donc M. Michel pour faire son marché ? demandai-je à l’aubergiste.

— Que la foire soit plus avancée.

— Mais si la jument est achetée par un autre ?

— Oh ! il a l’œil dessus, monsieur. Michel comprend son affaire, voyez-vous ; mais le vieux Bervic est encore plus malin ; c’est un homme qui vendrait le paradis au bon Dieu. Ce sera un marché curieux à voir.

Ces mots de l’aubergiste piquèrent ma curiosité ; je résolus d’être témoin du marché de la belle jument. J’attendis long-temps. Ce ne fut qu’au moment où la foire commençait à s’éclaircir, et lorsque les paysans qui appartenaient aux communes les plus éloignées s’étaient déjà retirés, que je vis Michel s’avancer vers l’auberge. Il causait avec un paysan qu’à l’éperon soudé à son soulier gauche, et à son fouet croisé en bandouillère, je reconnus tout de suite pour un entremetteur. En passant devant la jument, Michel s’arrêta et dit à son compagnon :

— Tiens, je n’avais pas vu celle-ci ! — Il la regarda quelque temps en sifflant. — C’est dommage, dit-il, qu’elle ait la tête bretonne. Ces têtes !… ça a l’air d’une mesure d’avoine au bout d’un cou de cheval…