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une sensibilité qui m’émut, le menuisier se découvrit, nous souhaita le bonjour, et un instant après il était rentré dans son colombier.

— Eh bien ! me dit mon ami lorsque nous eûmes fait quelques pas dehors, que pensez-vous de cet homme ?

— C’est un grand génie qui aura dépensé toute son intelligence à faire une mauvaise pendule et un moulin, répondis-je.

— S’il fait jamais ce moulin, me dit Frantz.

— Et pourquoi non ?

— Cet homme a un anévrisme dont il ne se doute pas ; dans dix-huit mois il sera mort, et le moulin ne sera pas achevé.

Je m’arrêtai brusquement, en jetant un cri, et je détournai malgré moi vers le colombier de Jahoua un regard effaré.

Le pauvre ouvrier était encore près de sa porte, regardant en l’air, vers le toit de sa demeure, et trois petits enfans jouaient sur le seuil.

Je sentis une larme qui me coulait sur la paupière, je détournai la tête, et je repris en silence le chemin du village.

§ iii.
Aptitude des ouvriers bretons. — L’usine de M. Frimot. — La digue de Roscoff. — Keinec. — Nécessité de grands établissemens industriels en Bretagne.

En parlant de Jahoua, je n’ai point prétendu donner une personnification de l’ouvrier breton : quoique le caractère celtique s’accusât énergiquement dans cet homme, les facultés supérieures dont il était doué en avaient fait une exception. Mais il ne faudrait point prendre non plus les réflexions que j’ai précédemment émises sur l’infériorité industrielle de la Bretagne, pour un brevet d’incapacité infligé à ses ouvriers. Ce qui leur manque, ce n’est ni l’aptitude, ni la volonté ; ce sont les moyens et l’occasion. Je crois même que peu de races sont aussi propres aux travaux de la forte industrie, car peu de races possèdent à un aussi haut degré la vigueur, la patience, l’esprit de combinaison, et surtout cette espèce de raideur musculaire et d’insensibilité physique qui rend le travailleur infatigable à la peine. Aussi, toutes les fois qu’une circonstance est venue aider à la manifestation des dispositions manufacturières de l’esprit breton, on les a vues se faire jour de la manière la plus éclatante.

Il y a quelques années qu’un ingénieur distingué, M. Frimot, établit à Landerneau une fabrique de machines à vapeur. C’était une entre-