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plusieurs ouvrages ébauchés. Nous allions partir, lorsque mes yeux, en scrutant tous les recoins de la maison, s’arrêtèrent sur un grand nombre de madriers qui m’avaient frappé dès mon entrée, et qui paraissaient appartenir à quelque travail de charpente commencé.

— Qu’est-ce que cela ? demandai-je à Jahoua.

Il rougit un peu et me répondit :

— C’est le commencement d’un moulin.

— Vous fabriquez donc aussi des moulins ?

— Il voulait en faire un pour son compte, dit Frantz en riant. Jahoua a une idée fixe, c’est de transformer son colombier en moulin-à-vent. Il n’y en a que deux dans la commune, et ils sont loin de suffire aux besoins. Jahoua pense avec raison que s’il pouvait en construire un, il y trouverait une source de profits. Malheureusement, le temps ou l’argent lui a manqué jusqu’à présent, car voilà bien long-temps qu’il a commencé son moulin.

— Sept ans, monsieur, dit Jahoua ; il y a sept ans.

— Mais êtes-vous avancé dans votre travail ?

La figure du menuisier prit une expression de tristesse sombre, et il me répondit en balbutiant :

— L’an dernier j’avais fini. Il ne me manquait plus que les meules, mais l’hiver a été dur ; il n’y avait pas d’ouvrage, et le bois est rare par ici. La femme a brûlé une partie des pièces du moulin pour chauffer les petits qui avaient froid. Il a fallu recommencer.

— Et vous n’avez pas perdu courage ?

— Pourquoi ? quand je serais encore sept ans, qu’importe, si j’ai mon moulin ? La route a beau être longue de Commana à Quimper, un enfant finit par la faire, à force de mettre ses petits pieds l’un devant l’autre.

Je regardai avec admiration cet homme de bronze qui avait marché pendant sept ans sans interruption et sans repos vers son espérance, y concentrant toute son ame, y confiant tout son avenir, et qui, rejeté loin du but au moment d’y atteindre, recommençait le chemin, les cheveux grisonnans et les pieds meurtris, sans faire entendre une plainte ni un cri de colère. Tant de volonté et de patience me semblait une merveille.

— Et n’avez-vous jamais songé à quitter le village ? lui dis-je ; vous auriez pu aller à la ville, et avec votre génie inventif vous seriez devenu riche en peu de temps.

Il secoua la tête :

— La fortune ne se trouve pas où on la cherche, monsieur ; elle est