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INDUSTRIE ET COMMERCE DE LA BRETAGNE.

presque complète du caractère de l’habitant ; car, outre les habitudes casanières de l’ouvrier armoricain, qui nuisent tant à ses progrès, il faut reconnaître qu’il n’a point cette activité industrieuse, remuante, du Normand, par exemple. Sa nature ne le porte point aux combinaisons mercantiles, à cette ambitieuse et incessante recherche du bien-être, si propre à hâter l’instruction industrielle. Il ne court après la fortune ni ne l’attend : c’est la seule superstition populaire à laquelle il soit demeuré étranger. Le pain noir de chaque jour, l’ivresse du dimanche et un lit de paille pour mourir vers soixante ans, voilà son existence, son avenir, et il l’accepte comme définitif. Il traite sa misère ainsi qu’une maladie héréditaire et incurable. Ajoutez que son imagination vient à chaque instant à la traverse de son industrie ; que ses croyances entravent les velléités d’émancipation qui pourraient lui naître ; que ses préjugés, son caractère, ses poétiques inclinations, brisent sans cesse l’édifice naissant de sa fortune. Position, intérêt, il sacrifiera tout à une tradition pieuse, à un mouvement du cœur. Nous pouvons citer à l’appui de l’opinion que nous émettons un fait qui s’est passé, il y a quelques mois, presque sous nos yeux. Quoique ce soit un événement exceptionnel, il donnera une juste idée de la prépondérance des facultés poétiques sur la faculté industrielle, dans l’ouvrier breton.

Paimpol est une ville du département des Côtes-du-Nord, un peu moins grande que la moitié d’une rue de Paris ; mais son port lui donne une certaine importance. Elle en a eu beaucoup surtout pendant les guerres de l’empire : c’était, ainsi que Roscoff, Camazet, Le Conquet, un lieu de relâche pour les corsaires bretons. On y voyait alors cinquante tavernes et trois horlogers ; et ce n’était point trop, car les corsaires avaient besoin des uns et des autres. Le dernier mousse réservait toujours, sur sa première part de prise, de quoi acheter une montre à breloques, qu’il ne montait jamais, mais qu’il suspendait coquettement à son cou, avec un filin goudronné. Malheureusement pour les horlogers de Paimpol, la paix vint et ruina leur industrie. Quelque temps encore les relâches des caboteurs (rendues plus fréquentes par l’activité momentanée du commerce, dans les premières années de la restauration) leur procurèrent quelques profits ; mais cette ressource diminua et leur manqua bientôt presque entièrement.

Parmi ceux que frappa le plus cruellement ce désastre, se trouva un jeune homme nommé Pierre. Il avait choisi fort jeune la profession d’horloger à une époque où cette industrie prospérait à Paimpol, croyant y faire fortune. Mais à mesure qu’il avait avancé en âge, ses espérances