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Elle n’a pas le sentiment de sa laideur ; elle se voit dans sa folie, le seul miroir où elle soit flattée, et elle s’y trouve belle, de la beauté d’une grande dame, avec des traits plus nobles que jolis, une taille majestueuse ; les romans et la folie l’aident pour moitié à faire ce portrait. Elle nous regardait avec un certain dédain ; elle attendait sans doute le cortége qui doit la venir chercher pour son splendide mariage, et nous voyant sans épées ni épaulettes, elle semblait se dire : Ce ne sont pas là ceux que j’attends. Je fus pris d’un vif désir de la faire causer, et je priai la sœur de l’appeler. Elle vint d’un air mécontent, la figure boudeuse, le regard hautain. — « Ces messieurs voudraient vous parler, lui dit doucement la sœur.» Et nous nous approchâmes avec intérêt. — « À moi ? dit-elle. — Oui, à vous. » — Elle fit un petit mouvement d’épaules, et nous tourna le dos, comme à des gens qui s’étaient mépris. Je le crus du moins par tout ce que j’avais vu d’elle ; mais, peu après, le doute me vint, et je me demandai, avec un serrement de cœur, si notre curiosité ne l’avait pas avertie de son état, et si ce n’était point par pudeur qu’elle s’était sauvée de nous, emportant le trait fatal dans son cœur !

La sœur nous mena dans la salle où se tiennent les folles inoffensives, celles qui sont sages, comme elle nous disait avec sa jolie voix. Elles n’y sont astreintes à aucun travail. Les unes tricotent, parce que c’est leur fantaisie ; les autres se tiennent assises, quelques autres debout, des journées entières, sans éprouver le moindre sentiment de lassitude. Telles vous les avez vues le matin, telles vous les retrouvez le soir, immobiles, sans regard, sans ouïe, sans voix, toute volonté éteinte, et, avec la volonté, le mouvement, qui en est le signe extérieur. Elles ne dorment ni ne veillent ; c’est la vie végétative de la plante, qui ne se remue que si le vent la fait plier ; elles aussi ne bougent de place que quand on les pousse vers leur lit. Celles-ci ont la tête penchée sur l’épaule gauche, celles-là sur l’épaule droite ; d’autres échangent entre elles des paroles qui s’entrecroisent, mais qui ne se répondent pas ; quelques-unes murmurent, agenouillées sur leur chaise, des prières qu’elles entremêlent de choses étrangères ; d’autres se parlent à voix basse. C’est une agglomération d’êtres de même figure, mais ce n’est pas une société ; elles se touchent et sont isolées ; elles se