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allons dire n’est pas pour faire aucune comparaison, et n’a pour but que de rendre clairement notre pensée ; mais enfin, qu’on mette des moutons en liberté, et l’on n’aura jamais que des moutons. Qu’on y mette des nègres, et l’on n’aura que des nègres, c’est-à-dire malheureusement des individus fort grossiers, fort enclins au vagabondage, peu portés au travail, et encore moins ouverts aux choses morales. Ah ! si l’esclavage les empêchait de devenir meilleurs qu’ils ne sont, si les maîtres faisaient obstacle aux sentimens d’ordre, de paix, de travail, de moralité, de propriété, qu’ils pourraient avoir, ce serait bien différent ; si on leur défendait de travailler pour leur propre compte, et de se familiariser ainsi avec les idées d’acquisition légale, de transmission et d’hérédité ; si on les empêchait de se marier, d’avoir des femmes et des enfans légitimes, et d’entrer ainsi dans la famille, qui est le centre de toute civilisation, alors on aurait raison ; on aurait raison de dire : Ôtez l’esclavage, et ces intelligences comprimées vont prendre l’essor, et ces cœurs étouffés vont s’épanouir, et cette activité garrotée va se développer et s’étendre, et des hommes vont naître de ces esclaves, des créatures actives et nobles de ces créatures lourdes et dégradées. Mais c’est qu’il n’en est pas ainsi. C’est qu’on dit aux nègres : Travaillez pour votre propre compte, afin que vous acquériez quelque propriété personnelle ; et les nègres ne veulent pas. C’est qu’on dit aux nègres : Mariez-vous, afin que vous ayez de la famille, des femmes qui vous aiment et qui vous donnent des soins, des enfans qui vous respectent et qui vous obéissent ; et les nègres ne le veulent pas. Maintenant donc qu’on mette en liberté ces natures rebelles. Croit-on sincèrement qu’elles vont devenir, par la vertu d’une loi de la chambre des députés, intelligentes, actives et morales, de stupides, lourdes et anarchiques qu’elles sont ? Mais ce serait folie. D’ailleurs, n’a-t-on pas sous les yeux l’exemple de Saint-Domingue, qu’on appelait, avant la révolution, la France des Antilles ? Qu’est-elle devenue, cette France ? Les nègres y travaillent sous peine des galères ; la misère a remplacé l’ancienne splendeur, et on importe aujourd’hui du sucre dans une colonie qui en fournissait à toute l’Europe.

Voilà quelles considérations préjudicielles nous avons cru devoir mettre en avant aujourd’hui, à l’occasion de tous ces bruits d’émancipation qui se font en Amérique, et avant que des bruits pareils retentissent au sein de notre législature. Ce n’est pas nous qui prendrons jamais en main la cause de l’esclavage, quand l’occasion se présentera plus tard de nous expliquer là-dessus, et nous ne croyons pas que les