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DE L’ÉMANCIPATION DANS NOS COLONIES.

de privation pour les esclaves anglais dès leur premier pas vers la liberté. Ce n’est pas tout. L’acte d’émancipation des esclaves a mis les enfans à la charge de leurs parens ; chose cruelle d’abord, chose imprévoyante ensuite, quoique de toute justice au fond, les planteurs ne pouvant plus raisonnablement être forcés à nourrir les enfans de personnes étrangères.

C’est, disons-nous, une chose cruelle, parce qu’avec le peu d’esprit de famille qu’ont les noirs, ces pauvres enfans courent le risque de pâtir la faim plus d’une fois. C’est ensuite une chose imprévoyante, parce qu’il était bien clair que les nègres aimeraient mieux dormir, danser ou rôder à l’aventure pendant les journées que le bill leur accorde, plutôt que de les employer, comme le voulaient les législateurs, à travailler pour nourrir leurs enfans. On peut lire, dans le Journal de la Barbade, du mois de février 1835, une lettre du comte d’Aberdeen, ministre des colonies, sous la date de Downing-Street, 1er février, adressée à sir Lyonnel Smith, gouverneur de la Barbade, dans laquelle lord Aberdeen refuse d’accorder un jour de plus aux mères pour travailler à nourrir leurs enfans, selon la demande qu’en avait faite sir Lyonnel, s’en référant au bill, qui avait accordé aux noirs, dans ce but, tout le temps qui était raisonnablement nécessaire, et donnant son plein assentiment au refus du conseil colonial relatif à cette même demande.

Voilà donc les colonies qui vont commencer à éprouver le paupérisme, cette affreuse plaie des peuples libres, et qui est un bien déplorable contre-poids à la liberté. Nous avons déjà vu qu’on s’occupe à la Barbade de fonder des hôpitaux publics et des hospices. On en fondera aussi, et sans tarder, à Antigues, à la Dominique, à la Jamaïque, à Sainte-Lucie, dans toutes les colonies anglaises, par la raison bien simple que les nègres trop jeunes et trop vieux, ne pouvant pas gagner leur vie, seront obligés de mendier ou de voler, maintenant que, n’étant plus esclaves, ils ne seront plus nourris par les planteurs. Du reste, il ne paraît pas que l’Angleterre se fasse illusion sur les résultats futurs du bill d’émancipation, et sur le sort probable de ses colonies. Elle prévoit déjà le cas où les nègres, abandonnés plus tard à eux-mêmes, refuseraient de travailler pour de l’argent, et peut-être cette prévoyance n’est-elle malheureusement que trop fondée. Les journaux des colonies anglaises, qui rendent compte de la session des chambres coloniales, à la fin de l’année 1834, nous font connaître que le gouvernement a consulté les représentans de ces colonies, à l’effet de connaître les moyens les plus efficaces pour y attirer les émigrans qui