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tentotes, absolument dénuées de signification ; les nègres dorment du plus doux sommeil qui se puisse voir à côté de leur dernière once de riz, et ils marchent à la famine avec une insouciance et une gaieté de cœur qui sont les plus singulières du monde.

Les esclaves des colonies anglaises ont donc commencé par refuser de travailler dès qu’ils ont eu connaissance du bill d’émancipation. Les baïonnettes sont, comme nous avons dit, le seul moyen de persuasion que les gouverneurs aient mis en usage. La fermentation a cessé, les noirs ont obéi et obéissent encore. Du reste, ce n’a pas été et ce n’est pas encore sans peine. Les magistrats nommés pour contraindre les esclaves au travail, selon les nouveaux règlemens, n’ont bientôt plus suffi à leur rude besogne, et on a été obligé de déférer cette magistrature à chaque maître vis-à-vis de ses esclaves ; singulière fiction à laquelle les noirs n’ont pas gagné grand’chose, car les douzaines de coups de fouet qu’ils reçoivent, qu’elles soient appliquées par le maître au nom de sa puissance propre, ou au nom de sa puissance déléguée, n’en ont pas moins la même valeur sur les épaules où elles tombent. Nous lisons même, dans le Barbados Globe du 28 avril dernier, que le gouverneur sir Lyonnel Smith s’est vu obligé de sanctionner un bill de la législature locale, formulant une série de nouvelles pénalités à infliger aux apprentis, tant urbains que ruraux, dont la mauvaise volonté ne trouvait plus de frein dans les peines déjà en vigueur. Ainsi a été établie la peine du tread mill ou moulin marcheur, laquelle doit être bien violente, puisque son maximum ne peut pas excéder dix minutes de durée.

Il y a même plus. Le résultat immédiat du bill d’émancipation a été une aggravation de position pour les esclaves, par cette raison générale que les maîtres, placés désormais, non plus vis-à-vis d’esclaves, mais vis-à-vis d’ouvriers qui font leurs conditions et qui vendent leur travail, ont retiré tous les adoucissemens, tous les dons volontaires auxquels ils s’étaient eux-mêmes en quelque sorte astreints, et qui seraient désormais sans motif envers des personnes étrangères. Nous lisons dans un numéro de l’Herald, journal d’Antigues, du mois d’avril dernier, que dans le cours d’une discussion qui eut lieu au sein du conseil colonial, relativement à la fondation d’un hospice, l’honorable M. Martin trouve étrange qu’on ait qualifié de dureté la reprise de possession par les propriétaires de tous leurs droits sur les jardins et sur les terres qui étaient d’abord cultivés par les esclaves pour leur propre compte, parce que cette reprise de possession est tout-à-fait naturelle au moment où les esclaves deviennent libres. Voilà donc un commencement