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DE L’ÉMANCIPATION DANS NOS COLONIES.

tive devait nécessiter. Voilà donc qui est procéder d’une manière sage et sérieuse ; maintien provisoire de l’esclavage, garanties d’ordre, indemnité. Il y en a bien qui prétendent, peut-être avec quelque raison, que les cinq cents millions ont été surtout accordés pour désintéresser les capitalistes de la métropole, qui avaient des hypothèques sur les biens coloniaux ; mais enfin toujours est-il que l’indemnité est réelle, et qu’elle servira aux planteurs, soit à se libérer, soit à parer aux chances de l’émancipation.

Telle quelle, la question des colonies anglaises est beaucoup moins résolue que suspendue. Qui vivra verra. Les colonies anglaises ressemblent très exactement à un homme auquel on vient de faire une opération chirurgicale, et sur la vie duquel les médecins eux-mêmes ne peuvent rien dire, avant que l’appareil ne soit levé. Or, cet appareil doit rester six ans encore, sans qu’on y touche. Quand nous en serons là, nous saurons si l’opération a réussi, ou si le malade est perdu. Durant ces six années, les baïonnettes des régimens britanniques maintiendront certainement les colonies en leur état, de même que les ligatures et les bandages maintiennent les chairs ; mais quand les baïonnettes seront rentrées dans leurs fourreaux, il faudra voir si les faits et les idées qu’elles auront tenus sept ans dans une position artificielle, auront pris racine dans cette position, se seront équilibrés sur cette base, ou bien si la nature primitive de ces faits et de ces idées ne reviendra pas sur l’eau, et ne reprendra pas son empire. Comme nous disions, il faut attendre que l’appareil soit levé ; tout est là.

En attendant, peut-être est-on en droit de craindre que l’expérience ne réponde pas à ce que logiquement on pouvait être porté à s’en promettre, et que les esclaves n’apprécient pas à sa valeur la grande mesure que le gouvernement britannique a prise vis-à-vis d’eux. D’abord il est arrivé que les noirs, qui ne sont pas de très subtils raisonneurs, n’ont pas compris la différence qu’il pouvait y avoir entre être libre conditionnellement, au bout d’un certain temps d’épreuve, et être libre sur-le-champ, libre absolument et sans condition. La première chose qu’ils ont faite, ç’a été de refuser de travailler. C’est pour nous un fait inoui, fou, absurde ; mais c’est pour les noirs, à ce qu’il paraît, un fait très logique et très naturel ; pour eux, liberté signifie repos, sommeil, vagabondage. Vous aurez beau leur dire que l’homme n’est ici-bas que pour travailler selon ses facultés ; que la vie est à ce prix ; que la terre ne rend que ce qu’on lui donne ; que qui n’a pas une saison pour semer, n’a pas non plus une saison pour moissonner ; toutes ces choses, belles et bonnes pour nous, sont, pour des intelligences cafres et hot-