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se réveillait lion, et Charles-Quint livrait bataille. Il gardait François Ier à Madrid, mais il ne mettait pas La Balue dans une cage. Il n’était pas donné à Ligier de changer le rôle qu’il avait accepté, mais il pouvait donner au moine de Saint-Just un mélange de finesse et de vivacité, une brusquerie, non pas capricieuse et maladive comme celle de Louis xi, mais bien hautaine et militaire par accès, réprimée impérieusement, mais de sorte cependant que le soldat reparût quelquefois, et qu’il cherchât son épée à la place de son chapelet. En demandant à Ligier cette individualité historique, nous sommes sûrs de nous rencontrer sinon avec sa volonté, du moins avec sa pensée. Nous savons qu’il prend son art au sérieux ; il s’attache à composer ses rôles, et s’il ne réussit pas toujours à se renouveler, ce n’est pas inattention de sa part, c’est plutôt la faute des couplets tragiques qu’il a récités depuis dix ans, et qui l’ont habitué à une sorte d’inflexibilité. Non pas que j’accuse d’une incorrigible monotonie tout le répertoire tragique de la France ; mais à côté de Pierre Corneille et de Jean Racine, Ligier n’a-t-il pas trouvé MM. Soumet et Ancelot ?

Sous la robe du jeune novice, Mlle Anaïs a été ce qu’elle devait être, gracieuse et mignarde. Elle a été Chérubin des pieds à la tête, mais Chérubin lisant Beaumarchais sous les yeux de Marivaux. Sa voix a de la jeunesse, mais elle manque de franchise ; elle dit bien et avec intelligence, mais elle n’est jamais hardiment accentuée ; elle lance les mots, mais elle se prépare trop visiblement à les lancer : on dirait qu’elle prend son élan. Le défaut capital de Mlle Anaïs, c’est de ne jamais modérer son ambition, et de chercher à tous propos les grands effets. Je ne sais comment il arrive qu’elle a toujours l’air de promener sa langue sur ses lèvres, tant elle exagère le son enfantin de ses moindres paroles. Cependant elle a fait plaisir au troisième acte. Les plaisanteries qu’elle récitait n’avaient pas grande valeur ; mais dans sa bouche elles prenaient une sorte de nouveauté. Mlle Anaïs faisait de son mieux ; elle était espiègle pour son compte et pour celui de l’auteur.

Samson, dans le rôle de don Quixada, a fait de louables efforts pour témoigner de ses études. Mais il a eu beau faire ; Crispin reparaissait à tout moment sous le tuteur de don Juan. Il n’a pas