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DON JUAN D’AUTRICHE.

À Madrid, don Juan trouve don Carlos amoureux d’Élisabeth de France, compromis par des amitiés séditieuses ; lui-même se passionne pour Marie de Mendoza ; Philippe ii lui ravit sa maîtresse, et renferme dans un couvent l’amante déjà mère. Don Juan souffre patiemment l’injure qui lui est infligée ; il appelle la gloire qui lui échappe, et lutte sans colère contre la jalousie du roi.

Don Carlos conspire ; don Juan n’hésite pas à le dénoncer. L’oncle et le neveu se défient, et mettent l’épée à la main ; don Carlos appelle au secours ; il est condamné ; son adversaire demande sa grace, et pleure sa mort avec des larmes sincères.

Délivré de son fils, Philippe ii confie à don Juan le châtiment des Maures de Grenade, et plus tard il lui accorde la victoire de Lépante. À ce moment, la jalousie du roi se réveille plus furieuse et plus terrible que jamais : il a pardonné l’amour, pardonné la générosité, il ne pardonne pas la gloire.

Nommé gouverneur des Pays-Bas, don Juan comprime la révolte et assure à son frère la paisible possession d’une de ses plus riches provinces. Mais son heure est venue ; le lendemain de la victoire de Gembloux, il meurt empoisonné.

N’y a-t-il pas dans la vie et la mort de ce héros, qui s’éteint à trente-trois ans, une grandeur et une énergie tout à la fois épiques et dramatiques ? Le duel de ces deux frères qui se combattent dans toutes leurs passions, n’est-il pas taillé pour le théâtre ? Cette lutte acharnée de la ruse contre l’héroïsme, cette couronne oisive et cette épée qui ne se repose jamais, ne vous semblent-elles pas satisfaire à toutes les exigences de la terreur et de la curiosité ? Cette tragédie qui débute par une partie de chasse, qui continue par un amour imprévoyant, qui se noue par la mort d’un fils incestueux, qui se resserre par la gloire envahissante du héros, et qui se dénoue enfin par la vengeance d’un rival impuissant à soutenir une lutte glorieuse ; cette tragédie vous paraît-elle mesquine ? Je ne dis pas que cette tragédie est toute faite ; car si la réalité n’est pas l’histoire, pourquoi l’histoire serait-elle la poésie ? Si Rome impériale se rétrécit ou s’élargit sous la plume de Suétone ou de Tacite, pourquoi Brantôme et Strada ne subiraient-ils pas la même destinée entre les mains d’un rimeur ou d’un poète ? Non, la tragédie n’est pas faite ; mais vienne un poète, et elle se fera. Si l’on me de-