Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 4.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
REVUE DES DEUX MONDES.

les chenets et le marbre, le broya sous ses pieds. Puis tout d’un coup s’assit et demeura dans un silence profond et une immobilité formidable.

Je fus soulagé. Je sentis que la pensée réfléchie lui était revenue, et que le cerveau avait repris l’empire sur les bouillonnemens du sang. Il devint triste, sa voix fut sourde et mélancolique, et dès sa première parole, je compris qu’il était dans le vrai, et que ce Protée, dompté par deux mots, se montrait lui-même.

— Malheureuse vie ! dit-il d’abord. — Puis il rêva, déchira le bord de son chapeau, sans parler pendant une minute encore et reprit, se parlant à lui seul, au réveil.

— C’est vrai ! Tragédien ou comédien. —

Tout est rôle, tout est costume pour moi depuis long-temps et pour toujours. Quelle fatigue ! quelle petitesse ! Poser ! toujours poser ! de face pour ce parti, de profil pour celui-là, selon leur idée. Leur paraître ce qu’ils aiment que l’on soit et deviner juste leurs rêves d’imbécilles. Les placer tous entre l’espérance et la crainte. — Les éblouir par des dates et des bulletins, par des prestiges de distance et des prestiges de noms. Être leur maître à tous et ne savoir qu’en faire. Voilà tout, ma foi ! — Et après ce tout, s’ennuyer autant que je fais, c’est trop fort. — Car, en vérité, poursuivit-il, en se croisant les jambes et se couchant dans un fauteuil, je m’ennuie énormément. — Sitôt que je m’assieds, je crève d’ennui. — Je ne chasserais pas trois jours à Fontainebleau sans périr de langueur. — Moi, il faut que j’aille et que je fasse aller. Si je sais où, je veux être pendu, par exemple. Je vous parle à cœur ouvert. J’ai des plans pour la vie de quarante empereurs, j’en fais un tous les matins et un tous les soirs ; j’ai une imagination infatigable, mais je n’aurais pas le temps d’en remplir deux que je serais usé de corps et d’ame ; car notre pauvre lampe ne brûle pas long-temps. Et franchement, quand tous mes plans seraient exécutés, je ne jurerais pas que le monde s’en trouvât beaucoup plus heureux ; mais il serait plus beau, et une unité majestueuse régnerait sur lui. — Je ne suis pas un philosophe, moi, et je ne sais que notre secrétaire de Florence qui ait eu le sens commun. Je n’entends rien à certaines théories. La vie est trop courte pour s’arrêter. Sitôt que j’ai pensé, j’exécute. On trouvera assez d’ex-