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ÉTUDES DE L’ANTIQUITÉ.

Sous la main de Dieu, le poète lyrique est le plus libre des hommes. Qui peut le retenir et le borner dans son ascension ? Dieu l’inspire et les hommes l’adorent. Il ne vient en l’esprit de personne de circonscrire son vol, et de vouloir tempérer l’âcreté brûlante de ses accens.

Dans l’épopée, l’homme écoute volontiers son histoire, mais il la juge : même au milieu des enchantemens, des aventures merveilleuses, il retient la force de critiquer ce qui l’a charmé.

Dans le drame, la critique accompagne toujours l’émotion. Le spectateur se replie vite sur lui-même pour reconnaître si la peinture qu’on lui propose est fidèle ; car le drame joué devant ses yeux, c’est lui, et pour juger si la représentation n’est pas menteuse, il interroge son ame, ses douleurs, ses joies, ses vices, sa force et sa grandeur.

Mais dans la poésie lyrique, celui qui chante est debout et celui qui écoute à genoux. L’ode est une affaire entre l’homme et Dieu ; elle pourrait se passer de terrestres auditeurs. Le poète exhale ses chants, parce qu’il mourrait s’il ne chantait pas. L’humanité comprend, si elle peut, les paroles divines qui tombent sur elle ; elle les méconnaît ou les idolâtre, mais elle n’a pas la force de les juger.

C’est que la poésie lyrique est une révélation de Dieu qui, au début du monde, se confond avec les religions, et qui, dans la maturité des sociétés, s’unit avec ce que la philosophie a de plus sublime et de plus profond. Moïse a fait des odes ; Goëthe pareillement.

D’estimables personnes s’en vont aujourd’hui crier par le monde que la poésie meurt : d’abord elles pourraient se rassurer, car elles n’ont pas affaire avec elle ; mais la poésie ne meurt pas. Elle est si bien immortelle que, sous la ruine des anciennes formes, elle concentre une puissance à laquelle est réservé l’avenir.

Oui, le passé meurt, mais non pas le monde. Oui, les vieilles choses s’en vont ; en vain, comme Jézabel, elles veulent peindre et orner leur visage,

Pour réparer des ans l’irréparable outrage.


Vaine industrie ! Elles meurent, et nous, nous vivons, nous vi-