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a cueilli la couronne des jeux de Némée[1]. » Voilà la vengeance du poète irrité : mais que sa colère ne l’emporte pas trop loin, et qu’il ne dédaigne pas l’art de Polyclète, car rien n’est plus digne que les belles statues d’être placées auprès des belles poésies. Pindare et Phidias, nous vous chérissons également.

Joignons encore de plus près le génie du Thébain. S’il est vrai que la poésie et la musique doivent s’accorder pour exprimer de concert l’éternelle harmonie, jamais cette union ne fut plus sensible et plus douce que dans les vers de Pindare. Les odes étaient chantées par des chœurs d’adolescens et de jeunes hommes. On a supposé, non sans quelque vraisemblance, que Pindare, à l’exemple des poètes tragiques, avait à sa disposition des chœurs nomades qu’il transportait où il voulait. Quoi qu’il en soit, ses vers étaient chantés, et la parole du lyrique se prêtait admirablement à la mélodie. Le beau dialecte dorien, si plein, si musical, remplissait l’oreille de sa majestueuse harmonie.

Pour le fond, ce qui nous semble surtout signaler Pindare dans le chœur des grands poètes, c’est une gravité sublime qui soutient tous ses chants et leur imprime une dignité religieuse, une autorité divine. « Jupiter, c’est de toi que procèdent les grandes vertus qui s’attachent aux mortels[2]. » Fidèle à cette pensée, le poète met toujours ses chants sous la garde des dieux et de la sagesse éternelle. Il est fertile en maximes courtes et fortes qui gravent la vertu et l’art de la vie dans la mémoire des hommes. « Ce qui est doux contre la raison devient finalement amer, » dit-il après avoir raconté l’audace de Bellérophon[3]. Ailleurs nous lisons : « L’envie vaut mieux que la pitié ; ne nous refusons pas les grandes choses[4]. » Dans la quatrième pythique, le poète demandant à Ascésilas, roi de Cyrène, la grace de Démophile, lui dit : « L’immortel Jupiter lui-même délivra les Titans ; avec le changement des vents il faut changer les voiles. » Dans un autre chant, le poète s’exprime ainsi avec une majesté incomparable :

  1. Cinquième néméenne, première strophe.
  2. Troisième isthmique, première strophe.
  3. Septième isthmique, dernière strophe.
  4. Première pythique, treizième strophe.