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LE CAPITAINE RENAUD.

pu m’empêcher, cette nuit, de la relire avec vous, et je me prends en pitié en considérant combien a été lente la courbe que mes idées ont suivie pour revenir à la base la plus solide et la plus simple de la conduite d’un homme. Vous verrez à combien peu elle se réduit ; mais en vérité, monsieur, je pense que cela suffit à la vie d’un honnête homme, et il m’a fallu bien du temps pour arriver à trouver la source de la véritable grandeur qu’il peut y avoir dans la profession presque barbare des armes.

Ici le capitaine Renaud fut interrompu par un vieux sergent de grenadiers qui vint se placer à la porte du café, portant son arme en sous-officier, et tirant une lettre écrite sur papier gris placée dans la bretelle de son fusil. Le capitaine se leva paisiblement et ouvrit l’ordre qu’il recevait.

— Dites à Béjaud de copier cela sur le livre d’ordres, dit-il au sergent.

— Le sergent-major n’est pas revenu de l’Arsenal, dit le sous-officier d’une voix douce comme celle d’une jeune fille, et baissant les yeux, sans même daigner dire comment son camarade avait été tué.

— Le fourrier le remplacera, dit le capitaine sans rien demander, et il signa son ordre sur le dos du sergent, qui lui servit de pupitre.

Il toussa un peu, et reprit avec tranquillité.

CHAPITRE iv.
Le dialogue inconnu.

La lettre de mon pauvre père et sa mort, que j’appris, peu de temps après, produisirent en moi, tout enivré que j’étais et tout étourdi du bruit de mes éperons, une impression assez forte pour donner un grand ébranlement à mon ardeur aveugle, et je commençai à examiner de plus près et avec plus de calme ce qu’il y avait de surnaturel dans l’éclat qui m’enivrait. Je me demandai, pour la première fois, en quoi consistait l’ascendant que nous laissons prendre sur nous aux hommes d’action revêtus d’un pouvoir