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démission. Le pouvoir qu’il avait servi avec dévouement, auquel il tenait par ses opinions de famille et par ses affections, négligea toujours de le distinguer en rien, et M. de Vigny ne fit jamais rien de son côté pour se rappeler aux hommes de ce pouvoir. Héléna et d’autres poèmes recueillis en 1822, Éloa en 1824, avaient paru ; le roman de Cinq-Mars paraissait en 1826 et faisait éclat. La nouvelle carrière de M. de Vigny était donc toute tracée et par lui seul ; il s’y voua sans partage, avec toute la fierté d’une haute indépendance, enveloppée sous les formes parfaites de l’élégance et de l’urbanité.

Quand j’ai insisté, pour rectifier une erreur, sur les premières relations littéraires et les accointances poétiques de M. de Vigny, ce n’est pas du moins que je prétende diminuer aucunement son caractère d’originalité et l’idée qu’on se doit faire de la puissance solitaire et méditative empreinte dans ses poèmes. Entre tous ceux de son âge, et comme le dit le vieil Étienne Pasquier à propos de la pléiade du règne d’Henri ii, entre ceux de sa volée, il n’en est aucun qui semble plus imprévu, plus étrange même, provenu d’une source mieux recelée, d’une filiation moins commode à saisir. Contemporain par ses débuts de MM. de Lamartine et Victor Hugo, sa manière entièrement distincte de la leur, comme poète, est notoire. Eux, du moins, par quelque côté, par certaines analogies, on peut les rattacher à la poésie française antérieure. La méditation de M. de Lamartine, intitulée la Retraite, ressemble assez bien à quelque belle épître de Voltaire ; Millevoye plus fort aurait écrit quelques-unes des plus légères pièces de ce premier recueil. Les premières odes de M. Hugo ont le dessin singulièrement correct et classique : il n’y a pas rupture tout d’abord entre lui et les devanciers lyriques qu’il doit surpasser. Chez M. de Vigny, à part les imitations évidentes d’André Chénier qui sont une étude en dehors, on cherche vainement union et parenté avec ce qui précède en poésie française. D’où sont sortis en effet Moïse, Éloa, Dolorida ? Forme de composition, forme de style, d’où cela est-il inspiré ? Si les poètes de la pléiade de la restauration ont pu sembler à quelques-uns être nés d’eux-mêmes, sans tradition prochaine dans le passé littéraire, déconcertant les habitudes du goût et la routine, c’est bien sur M. de Vigny que tombe en plein la