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SCIENCES NATURELLES.

remment la chose, et disent que ce sont de petites grenouilles des marais qui ont été enlevées soit par l’action des astres, soit par la violence des vents, et qui retombent après un certain temps ; elles allèguent à l’appui de leur opinion que la chose n’arrive que lorsque le temps est à l’orage et à la pluie. Il y a enfin des gens qui nient absolument que ces animaux nous viennent d’en haut ; suivant eux, ce seraient tout simplement des crapauds qui font leur demeure ordinaire sous terre, et qui en sortent quand ils sentent approcher l’orage ; mais cette manière de voir est démentie par l’expérience journalière et par le témoignage des plus graves écrivains. Le fait est merveilleux sans doute, mais la nature est pleine de merveilles que nous n’expliquons pas plus que celle-là et qu’il nous font pourtant admettre. »

Plusieurs naturalistes après Rondelet soutinrent encore l’ancienne opinion, ou eurent occasion de citer de nouveaux faits qui pouvaient la confirmer. Ainsi, Paullini, qui écrivait vers la fin du xviie siècle, parlant des envies de femmes grosses, dit qu’une paysanne enceinte voulut qu’on lui fît une fricassée de grenouilles qui étaient ainsi tombées ; c’est du curé du village qu’il tenait cette anecdote.

Bientôt cependant vint une époque où les littérateurs décidèrent de ce qu’on devait croire en histoire naturelle. Ils firent, par exemple, de leur pleine puissance disparaître du sein des roches les coquilles fossiles ; celles qu’on trouvait sur le sommet des montagnes s’étaient détachées du camail de quelque pélerin ; les écailles d’huître qui forment toute une assise à la butte Montmartre provenaient des balayures de quelque cabaret où nos aïeux allaient déjeuner. Qui se fut avisé alors de parler de pluies de grenouilles eût été sifflé à toute outrance, et l’on aurait été témoin du phénomène qu’on se serait bien gardé d’en parler[1]. Cependant il se trouvait encore de loin en loin quelque personne qui, moins sensible au ridicule, plus éloignée de ce centre de sapience, osait

  1. On n’eût pas été mieux reçu à parler des pluies de pierres, et plusieurs années même après le travail de Levoisier, les récits les plus authentiques de ces sortes d’évènemens étaient accueillis avec un profond mépris par des hommes qui s’étaient constitués juges dans toutes les questions scientifiques. Voici comment un d’eux s’exprime à l’occasion de la chute d’aérolithes observée à Barbotan et aussi bien attestée que puisse l’être un fait : « Combien ceux de nos lecteurs qui s’occupent de physique et de météorologie ne gémiront-ils pas aujourd’hui en voyant une municipalité entière consacrer par un procès-verbal en bonne forme des bruits populaires qui ne peuvent qu’exciter la pitié, nous ne dirons pas seulement des physiciens, mais de tous les hommes raisonnables ! »