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état les restes d’un homme dont le dernier acte avait été une violation des lois divines et humaines voyait tout naturellement dans le crapaud le diable lui-même qui était venu prendre possession de sa proie.

Si c’était sur le cadavre d’un animal que se montrait le reptile, le fait ne pouvait être interprété de la même manière, mais les gens amoureux de merveilleux trouvaient toujours de quoi satisfaire leur penchant. Un chasseur trouve parmi les joncs d’un marais un canard qui lui paraît d’abord fraîchement tué. Lorsqu’il se baisse pour le saisir, il voit s’échapper d’entre les plumes un crapaud, et s’aperçoit que l’oiseau est déjà tout pourri ; il ne soupçonne pas que le crapaud est venu là pour se nourrir des vers qui fourmillent dans les chairs corrompues, et il suppose plutôt qu’il est né de la corruption même. Il communique ses doutes à un philosophe qui trouve la conjecture très bien fondée, et fait remarquer que le canard pendant sa vie mangeant quelquefois des crapauds, il est non-seulement possible, mais vraisemblable qu’il subira cette transformation après sa mort ; car, dit-il, les élémens une fois redevenus libres par la dissolution d’un corps tendent toujours à reprendre la forme qu’ils avaient eue avant celle-là.

C’est Paracelse qui fait ce beau raisonnement. Au reste, la transmutation admise, on trouva mille raisons qui la rendaient nécessaire. Je ne m’arrêterai point à examiner ces diverses théories, mais je ne puis me dispenser de citer l’opinion du canard lui-même. Voici comment il s’exprime dans des vers qu’écrivit sous sa dictée un ministre allemand au commencement du xviie siècle.


« Buffones gigno putridâ tellure sepultus
« Humores pluvii fortè quod ambo sumus,
« Humet is et friget ; mea sic vis humet et alget,
« Cum perit in terrâ qui priùs ignis erat.


De même qu’on avait diverses théories pour la transmutation des canards en crapauds, on avait aussi différens procédés pour l’obtenir. Les uns, comme je l’ai dit, pensaient qu’il suffisait de laisser pourrir l’oiseau à la surface du sol, tandis que d’autres voulaient qu’on l’enterrât profondément ; quelques-uns faisaient naître les crapauds en cave comme on y fait venir les champignons. Cardan avait inventé un moyen plus économique ; on pouvait faire un pot-au-feu avec le canard et manger sa chair, puis on n’avait qu’à verser le bouillon sur de la terre convenablement préparée, on était certain d’y voir bientôt pousser des petits crapauds. Ezler, mé-