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vu le sien et que de celui-là seul me semblait émaner toute autorité de la terre. — Ô rêves d’autorité et d’esclavage ! Ô pensées corruptrices du pouvoir, bonnes à séduire les enfans ! Faux enthousiasme ! poisons subtils, quel antidote pourra-t-on jamais trouver contre vous ! — J’étais étourdi, enivré, je voulais travailler, et je travaillai à en devenir fou. Je calculai nuit et jour, et je pris l’habit, le savoir, et, sur mon visage, la couleur jaune de l’école. De temps en temps le canon m’interrompait, et cette voix du demi-dieu m’apprenait la conquête de l’Égypte. Marengo, le 18 brumaire, l’empire… et l’empereur me tinrent parole. — Quant à mon père, je ne savais plus ce qu’il était devenu, lorsqu’un jour m’arriva cette lettre que voici.

Je la porte toujours dans ce vieux portefeuille, autrefois rouge, et je la relis souvent pour bien me convaincre de l’inutilité des avis que donne une génération à celle qui la suit, et réfléchir sur l’absurde entêtement de mes illusions.

Ici, le capitaine ouvrant son uniforme, tira de sa poitrine son mouchoir premièrement, puis un petit portefeuille qu’il ouvrit avec soin, et nous entrâmes dans un café encore éclairé où il me lut ces fragmens de lettres, qui me sont restés entre les mains, on saura bientôt comment.

CHAPITRE iii.
Simple lettre.
À bord du vaisseau anglais le Culloden,
devant Rochefort, 1804.
Sent to France, with admiral Collingwood’s permission.

« Il est inutile, mon enfant, que tu saches comment t’arrivera cette lettre, et par quels moyens j’ai pu apprendre ta conduite et ta position actuelle. Qu’il te suffise d’apprendre que je suis content de toi, mais que je ne te reverrai sans doute jamais. Il est probable que cela t’inquiète peu. Tu n’as connu ton père que dans l’âge où la mémoire n’est pas née encore et où le cœur n’est