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SCIENCES NATURELLES.

aux mouches, on les voit s’approcher avec précaution, puis, quand ils sont à distance convenable, se précipiter sur leur proie, l’une par un saut brusque, l’autre par une course rapide. Le crapaud parmi les batraciens, le caméléon parmi les sauriens, mourraient de faim, s’ils étaient forcés de suivre de point en point cette tactique ; aussi, quoique pour eux la première partie de la manœuvre soit la même, la seconde est toute différente. Après le temps d’arrêt, le corps du crapaud et du caméléon ne bouge plus, mais leur langue est lancée vers la proie, qu’elle ramène aussitôt à la bouche, grâce à la viscosité dont elle est enduite. Cette langue chez les deux animaux est très extensible et douée de toute l’agilité qui a été refusée aux membres. Le double mouvement est si rapide, qu’il échappe presque toujours à la vue, mais il y a plusieurs moyens de s’assurer que c’est bien la langue qui va chercher l’insecte, et non celui-ci qui se précipite dans la bouche ; on peut, par exemple, enfermer un crapaud sous une cloche de verre et faire promener des mouches sur la surface extérieure. Le crapaud ne s’apercevant pas que sa proie est séparée de lui par une cloison transparente, darde sa langue qu’on entend très distinctement frapper contre le verre : on peut, par ce moyen qui est dû à M. Macartney, apprécier assez exactement le maximum d’alongement de la langue ; on voit qu’elle atteint quelquefois à plus de deux pouces de distance ; c’est une portée bien moindre d’ailleurs que celle de la langue du caméléon ; mais il était juste que ce dernier, dont les mouvemens sont encore plus gênés que ceux du crapaud, fût plus favorisé sous quelque autre rapport. Notre vieux Belon avait très bien décrit le mécanisme par lequel le crapaud saisit sa proie, et cela aurait dû suffire pour empêcher Linnée de retomber dans l’ancienne erreur.

Il est impossible de parler du caméléon sans songer à ses changemens de couleur ; hé bien ! ces changemens se retrouvent, quoique à un moindre degré, dans une espèce de crapaud. Faut-il croire que pour l’un comme pour l’autre cas, la nature a voulu donner à un animal dépourvu d’armes et d’agilité un moyen de se soustraire à la vue de ses ennemis ; c’est ce que je ne déciderai point. Je ferai remarquer cependant que le crapaud variable, manquant du genre de protection qui résulte pour les autres espèces de leurs habitudes nocturnes, trouve dans cette faculté une sorte de compensation.

Il existe dans nos pays un crapaud qui semble plus que tous les autres redouter la lumière, et qu’on n’a guère occasion d’observer que lorsque la charrue, en traçant un sillon, l’amène par hasard à la surface du sol. On conçoit d’après cela qu’il a dû s’offrir bien plus souvent aux yeux des laboureurs qu’à ceux des naturalistes ; aussi, quoique les derniers ne