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SCIENCES NATURELLES.

cher l’animal à l’ombre avant de le réduire en poudre, d’autres le brûlaient pour avoir ses cendres, quelques-uns enfin ne craignirent pas de l’appliquer tout vivant.

Si ce remède révoltant a pu être proposé, on voudrait croire du moins qu’il n’a jamais été mis à exécution ; mais il n’est pas possible d’en douter, et beaucoup de médecins savent que de malheureuses femmes y ont encore quelquefois recours pour des cancers au sein lorsqu’elles n’attendent plus rien des méthodes ordinaires de la médecine. Personne, à la vérité, n’oserait aujourd’hui proposer ouvertement une pareille recette, mais on l’a fait il y a moins d’un siècle, et, en 1768, les journaux anglais étaient pleins des cures obtenues par ce moyen, comme les nôtres l’étaient, en 1818, des guérisons dues à l’usage de la moutarde blanche.

On sait qu’un remède très souvent employé parmi le peuple, dans les cas de fièvres intermittentes, consiste à avaler à jeun une ou plusieurs araignées vivantes ; je crois avoir entendu dire que pour d’autres maladies on a proposé d’avaler un crapaud tout vif ; mais ce que je sais fort bien, c’est qu’il s’est trouvé des gens qui l’ont fait par bravade. J’ai vu à Laval, en 1814, un maçon ou tailleur de pierre qui, étant déjà pris de vin et n’ayant plus d’argent pour en acheter encore, déclara à ses compagnons que, s’ils voulaient lui en payer une nouvelle bouteille, il allait avaler un crapaud qu’on venait de trouver dans un coin du cellier. Le marché fut conclu et exécuté ; mais, moins d’une heure après, il fallut transporter à l’hôpital le malheureux qui suffoquait ; la gorge était horriblement enflammée, et la langue était gonflée au point de ne plus tenir dans la bouche. On y pratiqua de profondes incisions, et, à force de soins, on parvint à faire cesser les symptômes les plus menaçans. Lorsque je vis le malade, il se croyait près de reprendre son travail ; cependant il avait le visage bouffi, la peau d’un jaune paillé, l’haleine infecte, la respiration difficile et singultueuse. J’appris plus tard qu’il avait succombé à une inflammation de l’estomac. Plus récemment, le même fait s’est, à ce qu’on m’a assuré, présenté deux fois dans les hôpitaux de Paris ; les premiers accidens ont été arrêtés, mais je ne doute pas que les suites n’aient été fatales.

J’ai retrouvé depuis, dans Dioscoride, au livre sixième qui traite des poisons et de leurs remèdes, une énumération de tous les symptômes que j’avais observés sur le tailleur de pierre manceau. Le médecin grec ne dit rien qui puisse faire croire que les crapauds eussent été pris vivans ; il est probable que le poison avait été administré par des gens mal intentionnés, et sous une forme qui permettait de le déguiser. Avicène dit que la poudre de crapaud desséché produit tous ces accidens, et il in-