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ceux qui ont eu occasion de faire des recherches dans les copies d’ouvrages restés long-temps populaires et ainsi très souvent reproduits. On peut même en juger par la seule comparaison entre les premières éditions qui se firent d’après ces copies altérées et celles qui furent données deux siècles plus tard par de savans critiques.

Il y avait eu vers la fin du treizième siècle une grande ardeur pour l’étude, surtout dans les couvens des frères mineurs, et plusieurs des moines de cet ordre écrivirent des ouvrages volumineux où ils consignèrent, non-seulement les connaissances empruntées aux ouvrages anciens, mais celles qu’ils puisaient dans les récits des voyageurs contemporains. Il se fit un grand nombre de copies de ces livres, et les novices auxquels la tâche était confiée, rencontrant une foule de mots nouveaux, les estropiaient fréquemment, ou, ce qui était pis encore, y substituaient ceux d’objets plus connus. Dans le dernier cas, il y avait souvent désaccord complet entre les idées que faisait naître le nouveau nom et celle que donnait la description originale ; mais venait un compilateur qui, s’efforçant de les faire cadrer, ajoutait d’un côté, retranchait de l’autre, et finissait par produire un portrait qui ne ressemblait plus à rien.

Un croisé, par exemple, décrit sous le nom de Chiraf une bête qu’il avait vue en Syrie ; il ajoute qu’on l’avait amenée d’Afrique pour la présenter au sultan. Cette dernière particularité est omise comme oiseuse par la plupart des écrivains qui s’emparent du récit du voyageur, de sorte que bientôt l’animal paraît être originaire d’Asie. D’un autre côté, le nom s’altère, et après quelque temps finit par s’écrire chimœra ; alors la description, qui jusque-là était assez reconnaissable, se surcharge de plusieurs des traits appartenant au monstre thébain. Bref, dans les dernières compilations, la nouvelle chimère qui a perdu successivement sa patrie, son nom et ses formes, présente une énigme plus embrouillée encore que celles que proposait l’ancienne.

L’histoire des batraciens nous offrirait une foule de cas semblables. Il arriva, par exemple, que, dans quelques passages où était employé le mot grec batrachos, un copiste lut et écrivit baurach qui est un des noms arabes du borate de soude. L’erreur fut reproduite dans un traité très répandu d’histoire naturelle, et le mot borax (c’est ainsi qu’on l’écrivit bientôt) désigna indifféremment un animal et un minéral ; de là résultèrent, comme il est aisé de le prévoir, les plus étranges méprises.

Le borax minéral avait été employé avec succès comme détersif et astringent dans le traitement de certains ulcères, on n’hésita pas à employer pour le même usage le borax-crapaud, et il n’y eut de doutes que relativement au mode d’administration du remède ; les uns faisaient sé-