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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

sombre, aux gémissemens du vent, sans rayon qui m’éclaire, enveloppé dans mon manteau. »

Toute cette pièce est empreinte d’un caractère douloureux. Voilà une de ces pièces comme les Allemands en ont tant, comme nous, en France, nous en avons si peu ; et qu’on ne s’y trompe pas, ce qui fait avant tout le mérite de ce poème, comme de toute chose grande ou petite, épique ou familière, c’est la vérité : cela est beau parce que cela est vrai. Qui de nous n’a senti de mornes pensées s’élever en son âme lorsqu’il lui est arrivé de voyager seul dans la plaine par une froide nuit d’hiver ? Qui de nous, en voyant les arbres se flétrir, ne s’est ému à la mémoire de sa mère, de sa sœur, de sa maîtresse, douces fleurs pour qui l’automne de la vie a précédé l’automne de la nature ? Il semble que la terre ne se dépouille de sa belle robe de gazons et de marguerites que pour nous laisser voir de plus près ces fantômes chéris dans leur linceul. Il y a dans les vers de Uhland autant de rêverie mélancolique et triste que dans le Roi des Aulnes de Goëthe. Pour les mettre en musique, il fallait, sinon Schubert, du moins une imagination cousine de la sienne. M. Dessauer est resté bien au-dessous de l’œuvre. Il ne me semble pas en avoir compris les détails mystérieux ; certaines délicatesses lui ont échappé ; il n’a pas vu non plus sur ce fond sombre les nuances que le poète a ménagées. Aussi sa musique est vague et confuse, sans précision ni plan arrêté. Son idée, qui, à l’exemple de toutes les idées musicales d’Allemagne aujourd’hui, n’est jamais trop lumineuse, s’enveloppe cette fois dans un brouillard de modulations sous lesquelles elle finit par se dérober parfaitement. Il est à regretter que Schubert ait oublié cette poésie de Uhland ; il en aurait fait, je suis sûr, quelque chose comme le Roi des Aulnes ou la Marguerite. Ainsi qu’il arrive toujours en de pareilles occasions, la musique nuit à l’effet des paroles, car elle les disperse au hasard, sans avoir ensuite, pour les recueillir et les envelopper, un tout plus vaste et plus harmonieux ; et si vous voulez jouir à loisir de ces paroles, il faut attendre que le chanteur ait fini et lire sur le pupitre le cahier de musique, tout comme vous feriez d’un simple volume. Cependant je me hâte de dire que, s’il est arrivé à M. Dessauer d’échouer une fois, il a noblement pris sa revanche à pro-