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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

roles ! assez d’écrits et d’ambassades ! il est temps de dire votre dernier mot.

Et s’il ne peut atteindre son but, retournez dans le peuple, afin que vous ayez pour récompense le bonheur hautain de n’avoir rien cédé du droit. Attendez en paix et pensez que l’aurore de la liberté se lève, que c’est un Dieu qui mène le soleil, et que rien n’en peut arrêter la course. »


J’ai choisi ces pièces parce qu’elles m’ont semblé pouvoir donner une idée assez complète, sinon du talent poétique de Uhland, du moins de son inspiration ordinaire, de ses sentimens exaltés et de sa franchise allemande. On ne peut lire les premières sans être frappé de cette préoccupation continuelle du bon vieux droit, das alte güte recht, de cette religion du seuil et du foyer qui se manifeste par chaque parole. C’est bien là l’homme du Wurtemberg, enthousiaste et inquiet, heureux, mais désirant le mieux, parce qu’il faut que l’esprit de l’homme désire, sans quoi il trouverait ici-bas son paradis ; l’homme qui d’une main cherche à s’emparer de l’avenir et de l’autre retient le passé, qui voyant la liberté nouvelle accourir à son appel, et planter son arbre dans ses campagnes, s’effraie et doute, et se souvient de ses antiques mœurs et les couve de sa pensée ; pareil à l’aigle, qui lorsque le vautour fond sur lui, avant de s’élancer dans l’air pour le combattre, étend ses larges ailes sur ses petits. Ces vers sur l’anniversaire de la bataille de Leipzig sont véhémens et beaux, et jaillissent d’une inspiration sublime et franche. Il est malheureux qu’il ne soit ni dans notre pouvoir, ni peut-être dans les ressources de la langue, d’en traduire l’énergie ardente et la mâle sonorité. Deux ans sont à peine écoulés, et les Allemands ont oublié la journée de Leipzig. Ce jour-là, Uhland le rappelle aux princes endormis, au peuple qui oublie le sang qu’il a répandu, en attendant qu’il oublie la cause pour laquelle il l’a répandu. Certes, celui qui agit de la sorte fait de la pensée humaine un noble et digne usage. Les romanciers du moyen-âge ont inventé des dragons merveilleux, accroupis nuit et jour dans les flancs des montagnes et gardiens obstinés des mines d’or et de diamans ; le vrai poète est un dragon aussi, qui garde les trésors de l’histoire de sa patrie, et montre ses ongles de fer à