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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

nent par une alliance mystérieuse, Uhland et Novalis n’ont écrit chacun qu’un petit livre, et dans ce livre il y a plus d’amour naïf et pur, de larmes sincères, de douleurs humaines, que dans toutes les élégies de notre temps. C’est toujours la même pensée dans ce livre, la même fleur dans ce champ. La pensée se transforme, la fleur subit toutes les variétés de sa nature. Tantôt elle s’ouvre au soleil, tantôt s’incline ; aujourd’hui elle porte ses rosées comme un collier de perles ; demain, en mourant, elle les répandra comme des larmes. Tous les deux ils traversent la vie tenant entre leurs doigts cette fleur qu’ils effeuillent partout, sur le ruisseau, dans les gazons, sur une tombe. Je ne sais, mais cette fleur de Novalis et de Uhland ressemble bien au cœur humain.

Uhland est le poète le plus populaire en Allemagne, le poète des universités et des tavernes. On a comparé Uhland à Béranger, et c’est à tort. Il y a entre le poète allemand et le chansonnier français toute la différence qui sépare ces deux nations. Uhland est enthousiaste, ardent, plein de foi dans la nature ; il se livre sans arrière-pensée à son exaltation, aux élans généreux de son ame. Chez lui, jamais d’ironie ou d’amertume. La satire est un chardon qui ne vient que dans les terres long-temps labourées ; le sol de l’Allemagne est trop vierge encore pour porter ce fruit malsain. Les chansons de Béranger ont le tort grave d’avoir été écrites pour certaines circonstances dont elles dépendent. Ainsi, dans ses œuvres, il y en a qui se rattachent à des évènemens glorieux, épiques, vraiment nationaux ; il y en a aussi qui sont nées de faits plus ou moins graves, plus ou moins discutés dans le temps, aujourd’hui plongés dans un oubli complet. Les unes doivent vivre, parce qu’elles sont comme les rameaux d’un arbre profondément enraciné dans le sol de la France, parce qu’elles sont nobles, généreuses et belles (la forme obéit toujours au sentiment qui l’évoque) ; les autres sont destinées à mourir, ou plutôt mortes déjà. Béranger a été ébloui par la gloire de Napoléon. Quel homme a pu contempler sans étonnement cette figure auguste, devant qui l’aigle même baissait les yeux ? Les rayons de ce soleil ont attiré vers eux la pensée du poète, et cette pensée s’est élevée jusqu’au front impérial, d’où elle a pu lire dans les cœurs de ces guerriers dont elle a dit si naïvement les souffrances, l’abnégation, les dévouemens sans nombre. C’est là le