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POÈTES ET MUSICIENS ALLEMANDS.

passeront sans éveiller en elle une musique, et au milieu de tant d’accords puissans elle regrettera la solitude, le recueillement, le silence et la paix profonde. Qu’elle soit au contraire dans un château désert, à vingt lieues de la ville et de tous les orchestres, en face du spectacle de la lune qui monte et des grands tilleuls dont les rameaux en fleurs rendent de sourds murmures, et l’ame sentira des désirs immodérés de chansons et de bruit ; il faudra, quoi qu’il lui en coûte, qu’elle éclate en fanfares joyeuses ; elle voudra chanter pour faire comme les rossignols, comme les fleurs, comme les roseaux de l’étang. Je laisse aux musiciens qui de nos jours s’occupent de métaphysique, et ils sont en grand nombre, le soin d’expliquer ces étranges fantaisies de l’ame. Je voulais ce soir-là chanter et me réjouir dans la musique ; rien au monde n’aurait pu me distraire de cette pensée. Je me levai, bien résolu à parcourir toutes les salles du château, à remuer tous les cahiers épars çà et là sur les meubles, jusqu’à ce que j’eusse trouvé de quoi satisfaire le désir qui me tourmentait ; j’allai droit à la bibliothèque. Il suffisait d’y jeter un coup d’œil pour se convaincre que c’était la bibliothèque d’une famille élégante et cultivée qui, n’ayant pas fait de l’art une étude lente et laborieuse, ne lui demandait que les plaisirs faciles du soir et les délassemens de l’après-dînée. En effet, ces magnifiques volumes, reliés aux armes de l’une des plus nobles maisons d’Irlande, ce n’était ni la partition des Noces de Figaro, ni la partition du Mariage secret, ni la partition de Freyschütz, d’Oberon ou d’Eurianthe. En revanche, tous les airs variés, toutes les fantaisies, tous les caprices écrits pour la voix ou le clavier par les plus élégans compositeurs de France et d’Italie, se trouvaient là réunis sur des tablettes de bois de rose et de santal. C’étaient la partition des Puritains, les Soirées musicales de Rossini, les romances de Meyerbeer et de Donizetti, et des contredanses sans nombre, et mille autres choses que j’oublie. Cependant, dans le fond de la bibliothèque, sous une lourde pile de volumes entassés l’un sur l’autre, j’aperçus un petit cahier sans reliure. Ce petit cahier paraissait bien misérable dans cette armoire. On eût dit que le pauvre diable grelottait de froid au milieu de tous ces grands seigneurs si magnifiquement revêtus de manteaux blasonnés. J’en eus pitié ; je lui tendis la