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plus vague, le plus flottant, le plus insaisissable. Là où la parole est arrêtée, où l’image est sacrifiée à la logique du discours, le sentiment à la raison, que voulez-vous, s’il vous plaît, que fasse la musique ? Si l’art divin veut conserver sa langue de miel, sa belle langue originelle, nul ne voudra l’écouter dans la ville, il mourra de faim dans un grenier ; il faut, s’il veut vivre et monter de degrés en degrés jusque dans les petits appartemens du roi, qu’il porte perruque poudrée sur sa tête, épée de diamans au côté, et s’appelle Lully. Que voulez-vous qu’invente la musique en France, dans le pays de Michel de Montaigne, de René Descartes, de Voltaire, cerveaux immenses, je l’avoue, et qu’on ne saurait trop glorifier, grands fleuves d’hypothèse et de critique ; mais où vous ne trouverez pas une goutte de rosée dont la musique puisse faire son profit ? Quelle pensée musicale voulez-vous donc qui existe chez un peuple qui met toute sa poésie dans les rapports de l’homme avec l’homme, jamais dans les rapports de l’homme avec la nature ; dans un pays qui, parmi les huit ou dix grands hommes qui ont illustré son grand siècle de poésie et de goût, n’en citerait pas un qui se soit douté un moment dans sa vie qu’il y a au firmament des étoiles qui brillent, sur la terre des fleurs qui sentent bon, des feuillages qui tremblent, des roseaux qui se ploient, des cascades qui tombent ? La poésie se reflète dans la musique. La vierge céleste, en s’envolant, secoue sur l’orchestre les divins parfums de sa robe. Or, comme en France la poésie n’a en elle aucun germe sonore, aucune musique, la musique française, livrée à ses propres forces, vit de notes seulement et non pas de pensées. Les deux, seuls rejetons que la musique ait encore portés, l’opéra-comique et la romance, prouvent combien cet arbre généreux manque sur notre sol de pluie et d’aliment. En effet, comparez ces rejetons abâtardis et chétifs, rongés des vers avant d’éclore, avec Don Juan, Fidelio, Freyschütz, ces fruits puissans et sains qui mûrissent là-bas sur ses rameaux, au milieu des gracieux lied nouvellement épanouis. Le lied est aux opéras de l’Allemagne ce que la romance est à l’opéra-comique de la France. La romance exhale de ses trois couplets les mêmes choses banales et vulgaires, que de ses trois actes un opéra-comique. Dans le lied au contraire, vous respirez presque imperceptible cet humide parfum