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LE CAPITAINE RENAUD.

vu faire l’application ; c’est une manœuvre de parade et d’Opéra ; mais dans les rues d’une grande ville, elle peut avoir son prix, pourvu que les sections de droite et de gauche se forment vite en avant du peloton qui vient de faire feu.

En même temps il continuait à tracer des signes sur la terre avec le bout de sa canne ; ensuite il se leva lentement ; et comme il marchait le long du boulevard avec l’intention de s’éloigner du groupe des officiers et des soldats, je le suivis, et il continua de me parler avec une sorte d’exaltation nerveuse et comme involontaire qui me captiva, et que je n’aurais jamais attendue de lui qui était ce qu’on est convenu d’appeler un homme froid.

Il commença par une très simple demande en prenant un bouton de mon habit.

— Me pardonnerez-vous, me dit-il, de vous prier de m’envoyer votre hausse-col de la garde royale, si vous l’avez conservé ? J’ai laissé le mien chez moi et je ne puis l’envoyer chercher ni y aller moi-même, parce qu’on nous tue dans les rues comme des chiens enragés ; mais depuis trois ou quatre ans que vous avez quitté l’armée, peut-être ne l’avez-vous plus ? J’avais aussi donné ma démission il y a quinze jours, car j’ai une grande lassitude de l’armée ; mais avant-hier, quand j’ai vu les ordonnances, j’ai dit : On va prendre les armes. J’ai fait un paquet de mon uniforme, de mes épaulettes et de mon bonnet-à-poil, et j’ai été à la caserne retrouver ces braves gens-là qu’on va faire tuer dans tous les coins, et qui certainement auraient pensé, au fond du cœur, que je les quittais mal et dans un moment de crise ; c’eût été contre l’honneur, n’est-il pas vrai, entièrement contre l’honneur ?

— Avez-vous prévu les ordonnances, dis-je, lors de votre démission ?

— Ma foi ! non, je ne les ai même pas lues encore.

— Eh bien ! que vous reprochiez-vous ?

— Rien que l’apparence, et je n’ai pas voulu que l’apparence même fût contre moi.

— Voilà, dis-je, qui est admirable.

— Admirable ! admirable ! dit le capitaine Renaud en marchant plus vite, c’est le mot actuel : quel mot puéril ! je déteste l’admiration, c’est le principe de trop de mauvaises actions. On la donne