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à une touffe de myrtil, de l’autre il frappa son ennemi. L’ours, blessé, fit un bond qui aurait dû le précipiter dans l’abîme ; ses griffes labourèrent le roc, et y restèrent enfoncées. Il se releva, mais pour s’élancer du côté où se tenait Marie. En vain l’infortunée voulut fuir, en vain elle se colla au rocher, et poussa de grands cris pour arrêter l’animal furieux ; l’ours la balaya de son passage, comme il aurait fait une paille. J’ai grande honte de dire que le jeune homme ne songea point à la suivre : il agit beaucoup mieux. Il tua l’ours, il en vendit la peau, et fit dire avec l’argent des messes pour l’ame de sa fiancée, car c’était avant la réforme.

La cataracte de Riukan-Fossen s’échappe d’un grand lac, situé sur un plateau supérieur. En remontant jusqu’au sommet des fields, on trouve ainsi dix étages de lacs, qui dégorgent les uns dans les autres par des cascades, et dont les plus élevés sont à cinq ou six mille pieds au-dessus de l’Océan. Les forêts ont cessé bien avant d’arriver là ; on ne trouve plus que de la mousse de rennes et de la neige. Tous ces lacs fourmillent de truites. Pour expliquer la présence de ces poissons au-dessus de ces cataractes, il faut admettre que toutes les parties de la terre et des eaux ont été peuplées simultanément. Il n’y a point de communication possible entre les bassins inférieurs et ceux d’en haut. Le lac d’où sort Riukan-Fossen est à trois mille pieds au-dessus de la mer ; son aspect est sombre et monotone ; il est bordé de quelques maisons, et sillonné de bateaux, qui ont grand soin de ne jamais approcher de l’embouchure. À un quart de lieue au-dessus de la cataracte, le courant est si violent, qu’il est impossible de lui résister. Toute embarcation qui dériverait jusque-là serait infailliblement perdue ; car le rocher est taillé à pic des deux côtés. Il y a trois ans, deux bateliers voguaient sur le lac, et se laissaient aller au courant léger qui vient d’en haut ; ils étaient convenus de veiller chacun à leur tour, dans la crainte de s’engager dans les rapides. Celui qui devait rester en faction céda à la fatigue et s’endormit ; l’autre se réveilla au mouvement accéléré du bateau, et s’aperçut qu’il était trop tard pour l’arrêter. De la rive, on le vit, dans un transport de colère involontaire, lever son aviron et frapper à coups redoublés