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VOYAGE EN NORWÉGE.

la pluie et presque inaltérable. Sur cette écorce on applique de longues bandes de gazon, qui finissent par adhérer l’une à l’autre, à l’aide des racines qui s’entrelacent, et font comme une prairie bien verte, nourrie sans cesse par l’humidité du climat. Quelquefois de hautes touffes de seigle s’en élèvent et couronnent le toit champêtre de leurs tiges agitées par le vent. La moisson aérienne mûrit en son temps, et se sème elle-même pour l’année suivante. Ces toits sont fort pittoresques de près, mais de loin ils nuisent au paysage, en se confondant avec la teinte générale des prairies. L’écorce du bouleau sert encore à faire des chaussures commodes et solides.

Le bruit de notre arrivée s’étant répandu dans la vallée, nous reçûmes le lendemain, au point du jour, de nombreuses visites. Une grande partie de la population d’Ingolstand s’était réunie autour de notre porte, attirée par la curiosité, et surtout l’envie de voir le Français. Mais j’eus la mortification de lire du désappointement sur plusieurs figures ; on s’attendait évidemment à me voir armé d’un grand sabre, et avec une paire de moustaches redoutables, comme un véritable Croquemitaine ; un Français qui portait une canne et un chapeau de paille leur parut tout-à-fait indigne de son pays. La conversation commença comme celle de la veille ; il me fallut répondre par interprète à mille questions sur Napoléon : s’il était vrai que ses généraux eussent tous le rang de roi ; si son fils n’avait pas été déclaré pape dès sa naissance ; si les Anglais n’avaient pas fait enfermer Napoléon dans une prison creusée à cent pieds dans le roc, et ne faisaient pas courir faussement le bruit de sa mort, ce qui, au reste, était bien digne de la nation qui avait brûlé Copenhague ; toutes questions irréfléchies, qui nous prouvaient seulement combien le bruit de cette grande renommée avait retenti fort et loin, puisqu’il avait pénétré, quoique confusément, dans les Alpes centrales de la Norwège. Nous nous mîmes en marche vers le fleuve, et suivîmes ses rives pour arriver à la cataracte, dont l’écho nous apportait par intervalles la voix lointaine, quoique nous en fussions à deux lieues. La rivière avait le plus grand caractère : tantôt elle s’épanchait en vastes nappes vertes, d’une profondeur incommensurable, tantôt elle courait sur des blocs de rochers qui la déchi-