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quatre cents marcs d’argent. Le métal épuré est fondu et frappé à Kongsberg même, ce qui épargne les frais de transport ; les quatre cent mille francs que la Norwège envoie chaque année en Suède pour la liste civile du roi, vont directement de Kongsberg à Stockholm. Au-delà de Kongsberg, il nous fallut renoncer aux routes et aux voitures ; nous louâmes quatre chevaux ; trois d’entre eux, sellés assez grossièrement, devaient nous servir de montures ; le quatrième portait notre bagage. Nos provisions consistaient en eau-de-vie, viandes froides et pain de seigle parsemé de cumin pour le conserver plus long-temps. Tout ce que nous pouvions espérer en route, c’était du beurre salé et de la galette d’orge ; le lait même devait nous manquer, le bétail habitant les montagnes éloignées.

Après avoir remonté quelque temps la vallée de Kongsberg, nous tournâmes brusquement à l’ouest, et nous nous enfonçâmes dans les immenses forêts de l’intérieur du pays. Un sentiment de crainte et de tristesse s’empare du voyageur en entrant dans ces vastes déserts ; c’est une sensation analogue à celle que l’on éprouve dans le grand champ des morts à Scutari ; mais ici elle est plus forte et plus durable. Un voile sombre s’étend sur tous les objets ; un dôme impénétrable vous dérobe le ciel ; plus de traces humaines ; les sentiers, à peine distincts, semblent ceux des bêtes sauvages ; la terre, couverte d’un épais réseau de myrtils et de mousse ne rend aucun bruit ; la solitude et le silence vous saisissent au cœur. Telle serait sans doute la majesté des forêts vierges de l’Amérique, si les mille voix dont elles sont animées se taisaient, et si leur soleil se retirait d’elles. Des arbres gigantesques s’élèvent de tous côtés, non avec le luxe varié de la nature tropicale, mais dans l’âpre uniformité de la latitude scandinave : c’est l’épicia, hérissé de branches noires et pendantes ; le pin sylvestre, jetant jusqu’au ciel son tronc lisse et rougeâtre, surmonté de vastes bras verdoyans ; le bouleau, dont la tête gracieuse est soutenue par une colonne de marbre blanc ; ces trois arbres règnent sans partage dans les forêts de Norwège. À leurs pieds, une autre forêt de plantes basses et rampantes est couverte de baies de toute couleur ; le grand coq de bruyère s’en échappe avec le bruit de la foudre, et se perd comme une flèche dans l’ombre des sapins ; le coq noir