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Iliacum carmen deducit in actus. Au lieu de cet enfant, il aurait pu faire descendre de l’empirée Minerve aux bras blancs, θεα λευϰωλεος (thea leukôleos), ou bien Iris la prompte messagère, οϰεα Ιρις αγγελος (okea Iris aggelos). C’eût été noble et grand.

— Laissez l’enfant, laissez l’enfant, cria Coatmor. Que me font à moi vos Minerve et vos Iris, maître Collinée ? Je ne suis point un païen, par saint Briec ! Mais l’enfant !… Oh ! comme cela fait du bien de le voir délivrer sa mère ! comme cela console ! comme cela fait croire à la Providence ! Mon Dieu ! c’était bien beau ces temps d’autrefois où l’on voyait des miracles. Oh ! comme j’aurais voulu vivre alors et être un saint pour causer avec les anges, parler à la mer, à la flamme, à la terre, et voir qu’elles m’entendaient !… Mais ces temps-là sont passés, il ne vient plus d’anges en Bretagne ; tout se perd, les beaux miracles, les beaux usages, la foi de nos pères ; nous ne voyons plus de saints chez nous, depuis que les Français sont venus. La Bretagne s’en va, et bientôt notre langue même sera oubliée.

— Ne dis pas cela, Coatmor, foi d’Abalen, cela ne sera pas. Vois-tu, quand un peuple a ses saints à lui, son langage à lui, ses chansons et ses tragédies à lui, ce peuple-là ne change pas de nom aussi facilement qu’une fille qu’on marie. Les seigneurs peuvent se faire Français s’il leur plaît, mais nous, nous resterons ce que nous sommes. Nous n’apprendrons pas la langue de ceux du haut pays, et s’ils veulent que nous les entendions, il faudra qu’ils parlent la nôtre. Nous resterons avec nos grands chapeaux et nos longs cheveux, pour nous reconnaître entre nous, et quand l’occasion viendra, malo pour la Bretagne ! nous nous lèverons avec l’arquebuse et les fourches à la main, en jetant notre cri : Liç dar pot callec deuz an Armoricq (place aux durs garçons de l’Armorique) ! Il se trouvera bien encore, de par le monde, un pauvre gentilhomme qui consentira à être duc de Bretagne ; qu’en dis-tu, Kernewote ?

— Je dis que le jour où il faudra chasser les Français de nos paroisses, les hommes de la Cornouailles prendront leurs habits du dimanche et leurs penbas les plus lourds, et que nos gentilshommes ne seront pas longs à sangler leurs chevaux des montagnes : tous ont gardé leurs anciennes pensées, et le seigneur de Pont-l’Abbé a laissé sur la porte de son grand château l’écusson de Bretagne, avec la levrette et la devise[1].

— Que la sainte Trinité vous entende ! dit Coatmor, alors les beaux jours reviendront pour notre pays.

— Et les jabadeaux et les passe-pieds reprendront dans les châteaux, dit Troadec

  1. Il fallut un ordre exprès du roi et des menaces pour le lui faire retirer.