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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

que le messager lui a fait connaître le désir de Kervoura, elle regarde dans un verre d’eau, et y voit Triffine enceinte d’un garçon. Le messager rapporte cette nouvelle à Kervoura, qui se décide aussitôt à prendre toutes ses précautions pour s’emparer de l’enfant que sa sœur va mettre au monde, afin de guérir Abacarus et d’arriver au trône. — « Ce que je vais commettre est épouvantable, dit-il, mais il est honorable d’être roi ; ainsi il faut que je rompe avec la conscience pour m’avancer dans le chemin de la cruauté. » — Il annonce alors à la cour qu’il veut bâtir un palais à Kerfuntum. Un page va trouver de sa part des picoteurs, et leur ordonne de venir travailler pour son maître ; mais ceux-ci refusent, en se raillant. Kervoura, averti, arrive plein de colère.

KERVOURA.

Écoutez ici, mercenaires, que vous me contiez vos raisons ! On vient de me dire que vous étiez terriblement beaux parleurs ! Je veux voir si vous aurez maintenant la hardiesse de me répondre avec autant de respect qu’à mon page. (Éclatant.) Comment, caqueux ! vous avez eu l’effronterie d’insulter mon page, et vous avez cru que je souffrirais cela ? et vous avez cru que je baisserais la tête sous vos insultes, serfs ?

LE MAÎTRE PICOTEUR, tirant son bonnet.

Monseigneur, excusez notre ignorance ; il n’était point dans notre pensée de vous offenser, mais nous avons dit que nous étions placés ici pour achever un travail commencé depuis long-temps.

KERVOURA.

Je t’excuserai, coquin, comme tu le mérites. Quand le bâton t’aura parlé, alors tu me connaîtras. Si tu ne me respectes pas, quand je suis ailleurs, lorsque j’arriverai, tu t’en trouveras mal. (Il le frappe.) Tiens, fils de prêtre.

LE SECOND PICOTEUR, avec humilité.

Monseigneur, nous sommes prêts à vous suivre ; ayez la bonté de laisser mon compagnon, et nous vous bâtirons un château où vous le direz.

KERVOURA.

Toi, ribaud, je te traiterai, un de ces jours, comme ton compagnon. — Tiens ton corps en arrière ; mon bâton est lourd. — Et vous tous, venez avec moi ; je veux vos services. (Leur montrant un terrain.) Voici la place où il faut m’élever un château. Ainsi prenez vos dimensions. On me fera des

écuries, des cuisines, des salles et des chambres, et quand tout sera fini, peut-être paierai-je !…

(Il sort.)