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REVUE. — CHRONIQUE.

nous-mêmes sous nos anciennes lois et avec le régime mixte et pondéré sous lequel nous sommes appelés à vivre. » — Voilà pourtant où en est une aristocratie plus vieille que le trône, et qui l’a établi, réduite à se défendre par d’humbles moyens qui ne le sauveront pas. Est-ce bien l’antique aristocratie anglaise qui demande grâce à genoux aux pauvres électeurs d’un bourg, et qui est réduite à promettre au peuple plus de liberté que n’en donnent les gouvernemens populaires ? Et pendant ce temps, on cherche dans un royaume voisin, nivelé par quarante ans de débats révolutionnaires, à courber la nation sous une aristocratie d’hier, incapable de pourvoir à ses propres besoins, au lieu de s’occuper des nécessités publiques, pouvant à peine se protéger elle-même, et réduite à vivre d’aumônes de fonds secrets, de places et de pensions !

Le principe démocratique qui lutte aussi en Espagne n’est pas, comme en Angleterre, aux prises avec une aristocratie nobiliaire qui défend les priviléges de son rang. Il se débat contre le principe bourgeois qui vient à peine de s’établir dans le gouvernement. Aussi le ministère français regarde-t-il l’affaire d’Espagne comme sa propre cause, et le cabinet espagnol est comme un télégraphe et un écho qui répète à la fois les paroles et les gestes de M. de Broglie et de M. Guizot. Le manifeste du nouveau ministère espagnol avait été complaisamment rédigé par M. de Broglie, et on dit même en famille ; du moins, on peut le soupçonner en voyant un gouvernement, et un gouvernement espagnol, citer Mme de Staël comme une autorité en politique et en diplomatie. Cette pièce si peu conforme aux idées de l’Espagne, écrite dans le jargon doctrinaire et philosophique de l’école, n’était pas composée pour Madrid, on le voit bien, mais pour Paris. Les livres de Mme de Staël devenus l’évangile politique de l’Escurial, les utopies de Coppet prêchées dans le palais de Ferdinand et de Philippe ii ! ce n’est pas là une des conceptions les moins bizarres de ce temps, une des idées les moins folles de nos grands hommes politiques.

On parle toujours d’intervention ; mais nous pouvons affirmer que M. de Broglie et M. Guizot s’opposent à cette mesure. M. Guizot dit qu’il faut donner à la France le spectacle salutaire des désordres que causent les principes démocratiques quand on ne leur oppose aucun frein. Le savant professeur se souvient des maximes classiques de Lacédémone, et des esclaves ivres dont on nous parle à l’école. Reste à savoir si la sainte-alliance, dont on veut mériter l’approbation, ne nous enverra pas une seconde fois en manière de gendarmerie pour étouffer le volcan révolutionnaire qui vient de s’allumer de nouveau dans la Péninsule. Au train dont vont les choses, ce ne serait pas la reine Isabelle, mais bien don Carlos que soutiendraient nos soldats. En attendant, on meuble les appartemens du château de Fontainebleau pour la régente d’Espagne. C’est une réponse assez péremptoire et un refus assez net à ses pressantes demandes d’intervention.