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la débauche et au libertinage de l’esprit, il ne craignit pas de soulever les voiles assez diaphanes qui cachaient les désordres de son temps. Il le fit avec d’autant moins de ménagement qu’il n’écrivait que pour lui et pour quelques amis. Il s’en explique lui-même en ces termes : « Je prétends dire le bien et le mal sans dissimuler la vérité… Je le fais d’autant plus librement que je sais bien que ce ne sont pas choses à mettre en lumière, quoique peut-être elles ne laissassent pas d’être utiles. Je donne cela à mes amis qui m’en prient. »

Écrivant sous ces influences, des Réaux a peint beaucoup de choses telles qu’elles étaient ; mais, entraîné par ses préventions, il lui est fréquemment arrivé de charger le tableau. Souvent aussi, par un travers d’imagination, ses regards se sont arrêtés de préférence sur le côté licencieux de la société, aussi est-il essentiel de faire, en le lisant, la part des préjugés de l’écrivain. Lues avec cette précaution, les Historiettes seront utiles ; ce sont, dans leur genre, des mémoires de la société du xviie siècle comme ceux de Conrart, comme les lettres de Mme de Sévigné, de Guy Patin et de tant d’autres ; toutes les classes viennent à leur tour y comparaître : en effet, comme déjà nous l’avons dit ailleurs, des Réaux nous montre « les grands personnages en déshabillé, les riches financiers dans leurs modestes commencemens, les littérateurs dans les plus petits détails de leur vie privée. »

C’est surtout la bourgeoisie que Tallemant a dessinée d’après nature, elle que nous ne connaissions guère que par des traits épars dans les correspondances, dans les Mémoires du temps et dans les comédies de Molière. Il a, pour ainsi dire, révélé l’existence de Mme Pilou, de cette vieille si spirituelle, qui marchera désormais, dans nos souvenirs, à côté de Mme Cornuel et de Mme de Cavoie ; cette bonne Mme Pilou, veuve d’un procureur, reçue cependant à la cour, avec qui les duchesses même comptaient, et dont il ne nous était parvenu que le nom, parce qu’elle a été la première bourgeoise qui ait eu un carrosse, et qu’à ce titre Sauval lui a donné une place dans ses Antiquités de Paris.

Littérateur lui-même, Tallemant a vécu au milieu des écrivains de son siècle, et il les a généralement bien jugés. Peu de détails échappent à la postérité sur les hommes célèbres qui fondent la