Il s’en faut consoler et faire son devoir,
Mériter du bonheur, c’est plus que d’en avoir.
Les peines, les travaux, sont même salutaires ;
Il n’est pas bon d’avoir toutes choses prospères ;
Rien ne fait voir si clair que la calamité,
Et rien n’aveugle tant que la prospérité.
Dans mes afflictions, au milieu de mes pertes,
J’ai fait, pour mon repos, d’heureuses découvertes ;
Et me voir dans ton cœur placé comme j’y suis,
C’est un bien que je crois devoir à mes ennuys.
Ma disgrace, en effet, me vaut cet avantage ;
Je t’aurois bien toujours connu par ton ouvrage,
Et de tes grands Jardins contemplant les beautés,
J’eusse admiré la main qui nous les a plantés.
Quoi que la fable ait dit de ceux des Hespérides,
Ce n’étoient auprès d’eux que des sables arides ;
Mais je t’eusse peut-être admiré sans te voir.
Cependant, cher Rapin, ton sublime savoir
Ne mérite que trop qu’on t’aille rendre grace
De tout l’or que pour nous tu tires du Parnasse.
Je n’ose dire tout ; j’épargne ta pudeur ;
Si j’aime ton esprit, j’aime encor mieux ton cœur.
Sauroit-on trop louer cette humeur bienfaisante,
Ces soins officieux, cette ardeur obligeante ?
Je tiens qu’au plus haut point un mortel est monté,
Lorsqu’en lui la lumière est jointe à la bonté ;
Mais cet heureux concert, ce divin assemblage,
Se trouve rarement et surtout en notre âge ;
Les hommes éclairés abusent de leurs dons.
On ne voit presque plus que les sots qui soient bons.
Ton amitié, Rapin, à ton poème est semblable,
Elle instruit, elle plaist, tout en est agréable.
Pour moi, rien ne m’est cher comme les bons amis,
C’est ce qu’en mon estime au plus haut rang j’ai mis.
Au prix de tels trésors, nuls trésors ne me tentent.
Après les bons amis, les bons livres m’enchantent.
À toute heure, en tous temps, je tiens entre les mains
Les ouvrages fameux des Grecs et des Romains.
Ô le grand don de Dieu que d’aimer la lecture !
Avecque ce secours jamais le temps ne dure.
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