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POÉSIES POPULAIRES DE LA BRETAGNE.

Tenez, ma maîtresse, voici une bague ; mettez-la à votre main gauche.

— La bague de Dieu me conduira ; je ne mettrai point d’autre bague à mon doigt que l’alliance de Jésus-Christ. Celle-là ne me quittera pas.

— Oh ! ma maîtresse, que de temps j’ai passé près de vous sans profit, si ce que vous dites là est la vérité !

— Jeune homme, le temps que vous avez perdu près de moi, je vous en récompenserai en priant jour et nuit, pour que vous alliez en paradis.

— Adieu donc, ô jeune fille ! adieu. Hélas ! maintenant je le sais, on a tort de rire quand on est petit enfant, car la vie est triste ; on a tort de trouver doux le lait de sa nourrice, car la vie est amère. »


— Bien chanté, Coatmor, crièrent tous les buveurs ; tu es un beau rimeur.

Diis pietas tua et musa cordi est, ajouta Collinée avec son sourire distrait et bon.

Un gémissement sourd se fit entendre aux pieds de la table, et une voix vibrante, voix pleine de tristesse et d’accent, répéta doucement :


On a tort de rire quand on est petit enfant,
Car la vie est triste ;
On a tort de trouver doux le lait de sa nourrice,
Car la vie est amère !


Tous les yeux se tournèrent sur Morvan l’idiot. Son visage pâle s’était levé au niveau de la table ; un éclair d’intelligence douloureux brillait dans ses regards, et deux larmes coulaient le long de ses joues affaissées.

— Olier a entendu, dit Abalen. Quand on lui parle, il ne sait pas ce qu’on lui dit ; mais les vers, il les comprend encore. Il est comme les rossignols en cage, qui ne chantent plus que lorsqu’ils entendent un autre rossignol chanter.

Puis, comme s’il avait pitié de cette raison momentanément rappelée :

— Ton pichet, chantre, dit-il à Morvan d’une voix rude.

L’expression intelligente quitta à l’instant les traits de l’idiot. Il avança machinalement son vase de faïence, et laissa éclater un rire stupide en voyant que l’armurier le lui remplissait.

Après un moment de silence, tout le monde parut avoir oublié l’incident qui venait d’avoir lieu.

— C’est grand dommage, mon jeune ludi magister, reprit Collinée en s’adressant à Coatmor, que toi et tous ceux-ci, vous ne soyez point nés dans Rome ou dans la belle Grèce ; peut-être bien aurais-tu été un Horatius, celui-ci un Eschyle, et ce sonneur le beau chantre de Téos ; mais Dieu