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Donc, voici la scène reportée à la barre. Les corporations arrivent à la file, menées par sir Charles Wetherel, et récitent leur chapelet. C’est l’avocat qui leur pose les questions ; elles prêtent serment sans hésiter à toutes ses métaphores.

— « Oui, seigneur avocat, c’est vous qui dites bien, déclarent candidement les bons aldermen. Nous sommes les victimes de la calomnie ; on nous accuse de corruption ; nous sommes la pureté même. »

Et tous de répéter textuellement ce refrain. Cela avait duré près de huit jours ; cela eût bien duré jusqu’au printemps, car pas une des corporations anglaises ou galloises n’eût manqué à l’appel. Mais ne voilà-t-il pas que le pays se lasse tout d’un coup de la psalmodie de cette longue procession effrontée et vénale.

Par toute l’Angleterre d’abord on murmure. Bientôt les populations se rassemblent et manifestent leur mécontentement. Manchester adresse aux lords une humble pétition, signée de vingt-trois mille hommes qui supplient leurs seigneuries de se presser un peu et d’en finir avec le bill. En d’autres lieux, on s’y prend moins sérieusement. Il est décidé qu’on ne s’abaissera plus jusqu’à souscrire des suppliques à la noble chambre, et que si l’on pétitionne, ce sera pour prier les communes de la supprimer.

Ce grondement du peuple, tout lointain qu’il est, ne laisse pas de couvrir les voix des corporations qui déposent.

— « Holà ! s’écrie sa grace le généralissime des tories, se mordant le doigt, assez de dépositions. Halte ! nous sommes suffisamment instruits. Mettez les corporations et leurs avocats dehors ; il est temps d’aborder le principe du bill. »

Autre séance où la pairie montre un peu plus de bon sens, sinon de courage. Il faut que la situation soit grave ; nous voyons ici paraître sur la scène un acteur qui ne se produit qu’aux grandes occasions et dans les hautes péripéties du drame politique : c’est lord Mansfield, le Royer-Collard des tories. S’il n’a pas figuré dans notre galerie, c’est qu’il n’appartient pas à la collection ordinaire de la chambre. Il n’y vient que de loin en loin, lorsque l’aristocratie est en danger et tire son canon d’alarme. Le noble comte n’était guère sorti de ses domaines seigneuriaux depuis les discussions de la réforme parlementaire. Lord Mansfield est de haute taille, et un peu voûté. Sa parole a le ton plein de douceur et de conciliation ; elle est parfaitement d’accord avec l’air modéré de sa personne. Je reconnais volontiers l’élégance dogmatique du discours que prononce lord Mansfield le 12 août. Mais puisque sa circonspection lui conseille de ne pas opposer à la réforme des muni-