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REVUE DES DEUX MONDES.

SONE.

— Je n’irai point avec vous jusqu’à Paris, mon doux ami, ni jusqu’à Rouen non plus. Qu’irais-je voir parmi les hommes du haut pays ? — Une glace qui est souvent trompeuse, à ce qu’on dit.

Non, je n’irai avec vous que jusqu’au reliquaire du village, mon doux ami ; jusqu’au reliquaire, pour voir les ossemens, car un jour il faut mourir !

Les ossemens sont là placés nuit et jour. Ils ont perdu leur vêtement de chair ; ils ont perdu leur peau si douce et leurs mains blanches, et leurs ames aussi ! — Où sont-elles allées, leurs ames, mon doux ami ?

Quand les prédicateurs sont dans la chaire, vous riez d’eux. Vous dansez dans cette vie !… — Oh ! vous danserez aussi dans l’autre !

Car dans l’enfer il y a une grande salle tapissée pour les danseurs. — Tapissée de pointes de fer en dedans et tout autour.

Et là, nu-pieds, joyeux ami, vous danserez, et les démons avec une fourche rougie vous exciteront et vous diront : Danse encore, jeune homme ; danse, jeune homme qui aimais les pardons.

— Taisez-vous, jeune fille, avec vos railleries, et aimez-moi, car je vous aime. Prenez moi pour votre époux, et la vie sera douce pour nous, et je n’aimerai plus ni la danse ni les pardons.

— Je n’avais que quinze ans achevés, mon doux ami, quand j’allai au coin de l’église. Mon bon ange était là, et il m’annonça qu’il fallait aller au couvent… au couvent pour me faire religieuse, et laisser les souffrances du monde de côté.

— Ma jolie maîtresse, croyez-moi, oubliez le couvent, mariez-vous à moi ; je vous abriterai dans la joie, comme Dieu dans son couvent, ma maîtresse ! Je vous abriterai dans ma joie, comme Dieu dans son couvent, ma maîtresse jolie.

— Non, non, jeune homme, cherchez une autre fille. Vous êtes un homme beau et corpulent[1], vous trouverez quelque autre aussi bien que moi ; et mieux aussi, grâce à Dieu !

— Je n’en veux ni de mieux, ni de semblable ; il faut que je vous aie ou que je meure. Je n’en veux ni de mieux ni de pire ; mais je veux que vous me preniez à merci.

  1. En Bretagne, aux yeux des paysans, la corpulence est une grande beauté ; c’est un signe de distinction, de richesse, de loisir, comme, chez nous, dans la classe élevée, le potelé des mains et la blancheur du visage.