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n’est plus le temps de nager entre deux opinions, et de manger à deux politiques. Ce serait doublement à tort qu’il s’obstinerait à ressaisir les rênes suprêmes. L’embarras de son discours et de ses idées, quand il parle, prouve suffisamment qu’il n’a pas la tête nette et décidée qu’il faut pour mener aujourd’hui sûrement les chevaux emportés de l’état.

Le duc de Richmond ne s’est point élevé à ce sublime faîte du pouvoir ; mais c’est encore un de ces nobles nécessiteux dont le libéralisme n’est guère qu’au prix des hauts emplois lucratifs. C’est une de ces valeurs aristocratiques propres à toutes les besognes militaires ou civiles, bonnes à tous les salaires. Lieutenant-général et aide-de-camp du roi, sa grace n’en a pas moins daigné diriger les postes et faire partie d’un cabinet whig. À l’heure qu’il est, il a tout l’air de caresser aussi l’espoir chimérique d’une administration de juste-milieu dont il aurait sa part. Louis xviii l’avait mis de sa chambre haute. Je ne sais ce que votre révolution de 1830 aura fait de cette pairie anglo-française. Peut-être le noble duc n’en aura-t-il gardé que ce faux air d’élégance parisienne qui distingue sa mise de celle de nos merveilleux, si raides et empesés. En tout cas, j’estime qu’aucun de vos modernes incroyables ne pousserait le laisser-aller au point de croiser, comme le fait souvent le duc de Richmond, les jambes par-dessus sa tête, en pleine séance, afin de se mieux mirer dans ses bottes vernies.

Sauf le duc de Wellington, doyen honoraire de la mode anglaise parmi nos nobles lords, nous n’en avions pas encore rencontré un seul qui pût se dire véritablement fashionable. Mais voici que s’offre à nous lord Alvanley. Oui, ce petit homme, debout, tout bouffi, tout gonflé, tout essoufflé, sans tournure, sans toilette, qui n’a de la mise recherchée que les gants jaunes, et semble venir d’une orgie où il est pressé de retourner, c’est l’un des principaux représentans du nouveau fashionablisme à la chambre haute. Il était whig jadis ; il est tory maintenant, ou plutôt il est bon convive ; il est du parti de ceux chez qui l’on dîne et l’on soupe. Or, ce sont les tories surtout qui ont table ouverte : voilà pourquoi il est tory. Il eut dû ne pas attendre d’être ruiné pour se faire conservateur. N’importe. Ayant mangé son bien, il aide les autres ; il paie de sa personne et de sa gaieté. Il a, en effet, un riche fonds d’humorisme ; on ferait un gros livre de ses saillies. Toutefois, il en est sobre au parlement. C’est son mauvais démon qui l’a inspiré un jour de s’en prendre à O’Connel ; la lutte était inégale ; l’agitateur a la repartie mortelle. Tout fashionable et vraiment spirituel que soit lord Alvanley, il n’en gardera pas moins, sa vie durant, gravé au front le