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mouvement infini. Vous entendez résonner incessamment la petite voix grêle et criarde qui sort de ce grand corps : non pas qu’il lui arrive souvent de parler, mais il excelle à acclamer aux harangues tories. C’est lui qui s’est attribué la contrepartie des admirations de lord Holland ; vous n’eussiez pas supposé que vous aviez là un très illustre personnage, illustre au moins grâce à sa naissance, selon que le remarqua un jour fort irrévérencieusement lord Brougham : eh bien ! c’est une altesse royale, c’est l’aîné des frères du roi qui joue ce rôle imprudent d’applaudisseur des boute-feux d’une aristocratie impopulaire. C’est un prince du sang qui compromet son rang à plaisir dans cette représentation imbécile. Vraiment ce duc de Cumberland est mal conseillé ; sa gloire militaire n’était pas pour lui permettre ces airs de matamore ! et puis il a sur la conscience certaines peccadilles privées et publiques qu’il serait sage de ne pas tant rappeler par ces bravades. On n’a pas encore oublié quels véhémens soupçons de meurtre violent, de séduction lâche et d’inceste ont sali cette existence, que son origine a peut-être seule sauvée de la vindicte des lois. Le grand maître des loges orangistes est aussi suffisamment signalé à la reconnaissance de l’Irlande. Il n’y a guère de chance qu’il ait jamais à faire valoir ses droits au trône. Mais ne saurait-il prévoir l’échéance du cas ? dans ces temps de souveraineté populaire, la légitimité ne garantit pas infailliblement les couronnes.

Cet épais seigneur, le menton gracieusement posé sur sa main bien gantée, une touffe d’œillets rouges à sa boutonnière, que vous apercevez aux pieds des deux nobles ducs, fut en son temps un dandy fort recommandable, et c’est toujours le très digne père du vicomte de Castelreagh. Il lui reste toute l’élégance compatible avec un gros ventre et soixante ans. Sa tournure se laisse admirer encore malgré l’embonpoint qui crève de partout sa redingote. Ce bon goût qui distingue sa toilette et lutte avec l’âge, lord Londonderry ne l’apporte malheureusement pas dans sa tenue de législateur. Je vous le donne comme le discoureur le plus indiscret de cette chambre où l’immodération du discours est un défaut rare. C’est une maladie chez lui que de se lever et d’interpeller les ministres, principalement à propos de l’Espagne, où il a servi jadis comme colonel de hussards. Tout excellent tory qu’il soit, il a trop de zèle ; et je suis bien de l’avis de M. de Talleyrand, rien de plus funeste que le zèle excessif. Cette intempérance de vrai hussard lui vaut çà et là, de la part du généralissime, de bonnes rebuffades. O’Connel a parfaitement caractérisé le belliqueux marquis, quand il l’a qualifié de demi-maniaque, demi-idiot, — half maniac,