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alors pour un instant maîtres du champ de bataille, et entonnent l’hymne du triomphe la veille du jour où la réaction commence.

Les républicains ont tué la république. Ils n’ont désormais à rendre à leur cause qu’un suprême et dernier service, c’est de se dévouer pour elle, non en se jetant tête baissée sur les baïonnettes ennemies, mais en rentrant dans l’obscurité de la vie privée, en redevenant médecins, savans, industriels, de malencontreux tribuns qu’ils ont été.

Du moment où ces hommes auront cessé d’occuper la scène et de soulever dans le pays d’invincibles répugnances, une péripétie nouvelle commencera dans l’ordre politique, et je ne sais jusqu’à quel point les partisans de la royauté constitutionnelle peuvent, sans imprudence, désirer la fin d’une lutte durant laquelle la monarchie trouve au moins dans les instincts moraux et conservateurs du pays le seul contrepoids à l’action incessante des idées démocratiques. On n’a plus à redouter aujourd’hui la république venant s’imposer dogmatiquement à la France avec son fanatisme et ses hautaines formules. Celle-là est inscrite, à côté du saint-simonisme, son frère, dans l’immense catalogue des folies humaines ; la civilisation lui a pour jamais passé sur le corps ; mais on en doit craindre davantage le progrès des idées républicaines par l’affaiblissement manifeste des idées monarchiques, progrès retardé par les dangers dont d’horribles passions menacent l’ordre social, et qu’une situation moins agitée rendrait sans doute plus rapide. Tout pouvoir, par le fait seul de sa durée, suscite une masse de résistances dont l’effet peut être calculé avec une sorte de rigueur mathématique : vers quel point inclinent ces résistances inévitables ? Là gît tout le secret de l’avenir.

Si, à mesure que l’école républicaine perdait du terrain, on avait vu refleurir les croyances monarchiques, on pourrait, avec quelque vraisemblance, attendre de l’opinion un mouvement analogue à celui qui, après la sanglante anarchie de la terreur et l’anarchie impotente du directoire, prépara la forte constitution de l’an viii ; Il serait même loisible de penser, avec les journaux de la droite, que le vent souffle à une restauration de leur système, peut-être de leur principe. Mais lorsqu’on voit l’opinion bourgeoise, toute disposée qu’elle soit, dans les circonstances critiques, à prêter à l’autorité l’appui de la force matérielle, rester impassible devant l’émotion des feuilles ministérielles prêchant chaque matin l’ordre moral et le retour à l’équilibre constitutionnel ; quand on voit l’opinion légitimiste elle-même répudier ses traditions et ses dogmes pour prendre des allures démocratiques, comment ne pas penser que, derrière les théories constitutionnelles, il est