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DES PARTIS ET DES ÉCOLES POLITIQUES.

entre la situation des esclaves dans l’antiquité, et la classe qu’il flétrit du nom païen de prolétaire. Dans les guerres des esclaves, Rome avait à combattre une population fort supérieure à celle de ses citoyens, population établie presque seule dans certains cantons agricoles de l’Italie et de la Sicile ; elle devait de plus redouter, au milieu de sa domination toujours menacée, qu’une guerre d’esclaves ne dégénérât promptement en guerre sociale, et que la voix d’un Spartacus ne proclamât la liberté du monde. Il faut toute la pénétration historique de nos Brutus de carrefour pour comparer une situation si artificielle et si terrible à celle d’un peuple qui, sur trente millions d’hommes, compte huit millions de petits propriétaires, et chez lequel l’aristocratie du capitaliste est protégée par la démocratie chaque jour croissante des caisses d’épargnes.

Une école, qui se prétendait américaine, s’éleva dans l’origine au sein du parti républicain, en dissidence de principes avec l’école conventionnelle. Celle-là semblait devoir ébranler vite la monarchie nouvelle, dont la position rappelait à tous les esprits celle des Turcs campés sur le Bosphore, qui s’y maintiennent moins par leur propre force que par la crainte qu’inspirent leurs successeurs. Que si ses écrivains eussent été assez maîtres de leur public pour laisser de côté les lieux communs philosophiques et révolutionnaires, les admirations peu judicieuses, s’ils s’étaient bornés à soutenir des thèses économiques et industrielles, et, placés au centre des classes moyennes, à exploiter, au profit du principe électif, les fautes inséparables d’une position si critique, il est probable qu’ils auraient porté à la royauté mal assise des coups plus prompts et plus sûrs que les attaques victorieusement repoussées à Lyon et au cloître Saint-Méry. Mais cette école se croyait américaine sans l’être ; car, en étudiant les institutions de ce pays, elle fit abstraction des mœurs qui en sont l’âme ; elle avait tous les instincts de notre libéralisme voltairien, toutes les ambitions de notre esprit militaire.

Lorsqu’elle ne prit point part à d’ignobles attaques contre le culte de l’immense majorité nationale, elle affecta une indifférence, dont la manifestation seule enlèverait à un citoyen de l’Union toute autorité politique, toute considération privée. Enfin, par une contradiction qui prouvait combien les idées américaines avaient peu profondément pénétré, on prétendit enter des institutions essentiellement pacifiques sur un système de guerre et de propagande à main armée. La nature bonapartiste perça vite ; on fit de la stratégie au lieu d’économie politique ; on dressa des plans de campagne au lieu de combiner