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DES PARTIS ET DES ÉCOLES POLITIQUES.

Or, il faut le dire, que donne en dernier résultat cette analyse, si ce n’est un mélange incohérent et confus de souvenirs classiques et d’idées encyclopédiques, de sentimens faux et de croyances négatives ? Le stoïcisme qui s’agitait dans les convulsions de la Grèce asservie, qui poussait Cléomènes à verser le sang des éphores pour rétablir les lois de Lycurgue que Sparte ne comprenait plus, ce sauvage génie dont on a fait des deux Brutus une sorte de personnification dramatique, s’associe étroitement, au sein du républicanisme actuel, aux doctrines spéculatives du Tableau historique des progrès de l’esprit humain.

Le livre de Condorcet est l’évangile de ce parti, qui aspire à la perfectibilité, non par le travail de l’homme sur lui-même et le commerce de sa pensée avec une pensée plus haute, mais par le jeu mieux combiné des institutions, une répartition plus égale des forces et des jouissances physiques, par un immense et libre développement de l’activité humaine.

Dans cette doctrine, l’homme n’est qu’un animal à dix doigts : tous les efforts de ses publicistes, aussi bien que de ses moralistes, tendent à faire fonctionner le mieux possible cet être qui n’a d’avenir que sur la terre. On y respire comme une constante apothéose du corps et de la matière : celle-ci n’est même plus recouverte de ce léger vernis de spiritualisme que savaient si bien appliquer les disciples de Saint-Simon ; elle se présente seulement dissimulée sous le pédantesque appareil de formules scientifiques. La physique et la chimie, qui augmentent la masse des jouissances et des forces matérielles, forment, au fond, toute la philosophie de cette école. Ses docteurs jettent aux peuples et aux rois, en manière d’apophthegmes, des lieux communs insolemment drapés ; quelques-uns affectent les mœurs simples et naïves, calquent les manières de Gros-Jean et le langage du bonhomme Richard ; puis, par une contradiction où éclate le décousu de ces idées, plutôt juxtaposées que fondues, on s’exalte jusqu’au délire pour la plus vulgaire et la moins enivrante des doctrines. Et comme si, jusque dans ses plus déplorables aberrations, l’ame humaine ne pouvait faire divorce avec la foi, on se crée une idole qui peut tout commander, même le crime.

On se dit le plus libre des êtres, le plus doux des hommes ; mais si le peuple descend sur la place publique et verse le sang, on se déclare prêt à le suivre, car le sang versé par sa main est sacré, comme celui de la victime qui tombe à l’autel sous le fer du sacrificateur !

Il se fait ainsi, dans de jeunes têtes, une épouvantable confusion : le bien devient mal, la vertu devient crime ; le 21 janvier est un jour