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DES PARTIS ET DES ÉCOLES POLITIQUES.

que, jusqu’au système des successions dans l’ordre civil ; et, pour la première fois aussi, la religion, immobile au milieu de ces bouleversemens, les voit s’accomplir sans douter d’elle-même, sans se sentir liée au sort de la société qui s’écroule.

C’est que l’Évangile a, le premier, doté le monde de la notion claire et distincte des deux puissances, en même temps qu’il a nettement séparé la terre du ciel et Dieu de la nature. Il n’a pas détruit sans doute la divine harmonie par laquelle s’unit au créateur la terre qui raconte sa gloire aussi éloquemment que le ciel ; il l’a rendue, au contraire, plus éclatante et plus lyrique, mais il a proclamé la dualité du Dieu pur esprit et de la matière créée : vérité que l’homme ne peut porter sans obscurcissement en dehors de la foi chrétienne ; il a dès-lors conçu et réalisé cette auguste notion de l’église, société des intelligences où l’ame se nourrit de vérités immuables, pendant que les sociétés politiques sont soumises à des expérimentations journalières.

La perfectibilité humaine par l’industrie, par le développement illimité des forces individuelles et la concurrence de toutes les facultés, se concilie, pour les peuples chrétiens et pour eux seuls, avec la fixité du dogme, immuable par son essence comme l’être dont il est à la fois l’expression et la règle : situation complètement différente de toutes celles qui se présentaient avant l’établissement de l’église, et qui ouvre aux nations modernes un nouvel et immense horizon.

L’école de M. de Maistre et de M. de Bonald, pour être restée dans ses gloses philosophiques sous l’influence en quelque sorte matérialisante de la loi ancienne, et dans ses combinaisons sociales, sous la préoccupation trop exclusive des institutions polythéistes, me semble s’être écartée de l’idée vraiment universelle et catholique, qui accepte, sans s’en préoccuper, et les conditions les plus diverses et les formes les plus mobiles.

La sublime conception d’une église qui vit dans le temps sans en dépendre, permet désormais aux peuples d’appliquer, sans une impiété sacrilége, cette politique expérimentale et tout humaine que propage l’esprit démocratique. Mais cette matérialisation du pouvoir n’est sans danger que là où les cœurs se nourrissent des mêmes croyances, où les esprits sont ralliés dans une même foi. Deux mille ans écoulés depuis la chute des républiques antiques n’ont pas rendu l’homme moins égoïste, ne lui ont pas donné de son origine, de ses destinées et de ses devoirs, des notions plus lumineuses ; une haute civilisation a excité plutôt qu’elle ne les a amorties, toutes ses concupiscences natives ; et des crimes peut-être inconnus aux enfers viennent chaque