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DE LA RÉACTION CONTRE LES IDÉES.

jamais eu d’autre résultat que de déconsidérer les révolutions. Les progrès de la liberté ne doivent pas être imposés par l’audace d’une minorité à la faiblesse de la majorité ; ils doivent être le prix des efforts intelligens d’une majorité convaincue. Le peuple français n’est pas une plèbe immonde et lâche qui puisse être poussée sous le niveau d’une démagogie violente, mais une noble nation réclamant une liberté vraiment humaine et noblement plébéienne.

Pas plus que l’émeute, les conspirations n’ont jamais conquis la liberté. Les conspirations sont des fantaisies individuelles qui n’ont jamais rien fondé. César est plus puissant après sa mort que durant sa vie, et Cicéron se plaint amèrement à Atticus que les excès de la dictature fleurissent plus abondans et plus vénéneux sur le cadavre du dictateur ; Bonaparte, entrant à l’Opéra après l’attentat de nivôse, avait trouvé sur son chemin la couronne d’empereur ; l’assassinat politique donne l’immortalité à celui qu’il tue et la tyrannie à celui qu’il manque.

Conspirer c’est s’avouer inférieur à celui dont on menace la vie ; c’est grandir son ennemi de toute la hauteur qui sépare l’assassin de l’honnête homme ; c’est dénoncer au monde son impuissance à vaincre son adversaire, puisqu’on le tue. Que de fois la noblesse a voulu assassiner Richelieu ! Le cardinal avait son génie ; la noblesse, rien qu’une aveugle colère, et des épées qui descendaient à l’ignoble besogne d’un poignard. Eh ! mes gentilshommes, luttez de génie avec le ministre qui vous dompte, mais n’assassinez pas, c’est stupide,

La liberté plébéienne n’accepte pas les services d’un bandit et d’un bravo ; elle s’en détourne avec horreur. Comme elle s’appuyait au xiie siècle sur les travaux d’une industrie naissante, elle s’appuie au xixe sur les résultats déjà conquis et les efforts toujours incessans de la pensée. Qu’avons-nous donc à faire aujourd’hui ?

Nous devons relever et maintenir la bannière des idées contre lesquelles est tentée une déplorable réaction. L’écrivain, l’artiste, qui ont quelque estime pour la science, pour l’art, pour eux-mêmes, doivent concourir à la défense de ce qui constitue la grandeur humaine et l’éclat de la civilisation nationale.