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DE LA RÉACTION CONTRE LES IDÉES.

lutte avec le mouvement intellectuel d’une société ; il doit en être l’interprète, et non pas le contradicteur. Il y a malaise et péril pour une nation, quand les vivacités et les ardeurs du talent et du génie n’animent pas le corps même du gouvernement et de l’état, quand au contraire ils s’en éloignent avec dégoût et colère. Triste spectacle que le schisme de l’intelligence et du pouvoir ! On verrait d’un côté les facultés jeunes et vigoureuses, la générosité des instincts et l’élévation des idées ; de l’autre, on verrait des esprits fatigués, parvenus au mépris du grand et du vrai, ne faisant plus du gouvernement des nations qu’une affaire de police. Y aurait-il régularité dans l’économie sociale, si tout ce qui écrit, tout ce qui sent et qui pense, si le poète, l’artiste, le philosophe, se mettaient à prendre en pitié ceux qui manient la chose publique, et si ces derniers à leur tour commençaient à suspecter et à maudire l’art, les lettres et la philosophie ?

Ce n’est pas ainsi que s’accomplirait l’harmonie nécessaire qui fait la prospérité des états ; il faut au contraire que l’artiste respecte le législateur et que le législateur bénisse et admire l’artiste. L’état est le concert de tous les élémens sociaux : les idées doivent y vivre en paix avec les faits ; aucune des parties du corps politique ne doit combattre l’autre ; la science, la guerre, la législature, l’industrie, la justice, doivent être l’expression harmonique d’une même unité, l’état.

Non que dans la pratique sociale il soit inévitable d’appliquer les idées avec la rapidité fatale que l’esprit met à les concevoir. Ici la progression est nécessaire ; la société est vivante, et le gouvernement l’exprime et la sert utilement, si d’époque en époque les idées élaborées par la raison générale, désirées et comprises par une intelligente majorité, passent aux affaires et dans les lois. Il y aura toujours dans la tête des théoriciens et des penseurs plus d’innovations, plus de conceptions hardies et tranchées que n’en saurait immédiatement réaliser le législateur ; mais qu’au moins la théorie et la pratique ne se séparent pas par une opposition radicale ; que la société ait toujours devant ses yeux un avenir possible qui transgresse, pour les améliorer, ses destinées officielles.

C’est pour ne s’être pas prêtés à cette mobilité progressive des