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DE LA RÉACTION CONTRE LES IDÉES.

Nous savons qu’aussitôt après le renversement de la restauration, l’école à laquelle appartient M. de Barante s’entêta dans cette conviction qu’il n’y avait plus lieu à écrire et à spéculer ; que désormais il n’y avait plus qu’à recueillir les fruits de la victoire, et à placer sur le sol ébranlé l’autel du dieu Terme. Cette persuasion lui fit tenir pour suspects ceux qui ne la partageaient pas, et dans son amour-propre, l’école s’étonnait qu’on pût penser après elle et sans elle. Il semblait que la destinée des idées fût inféodée à sa fantaisie, à sa puissance, à sa capacité. — Oui, mon ami, c’est Racine qui a fait ma réputation, disait un tragédien à son flatteur. — Qu’entends-je ? répondit le complaisant, dis donc que c’est toi qui as fait la réputation de Racine. — Dieu me pardonne, mais l’école dont nous parlons a été bien près de penser que ce n’étaient pas les idées qui avaient fait sa réputation, mais elle qui avait fait la réputation des idées.

C’est une singulière fatuité qui s’empare souvent des hommes que de borner à eux-mêmes le mouvement de l’esprit humain. Au lieu de se considérer comme des soldats utiles et passagers d’une cause immortelle, soldats qui peuvent et doivent être relevés par d’autres que des successeurs viendront remplacer à leur tour, ils se prennent pour des dieux, et veulent nous prouver qu’ils sont éternels, parce qu’ils restent immobiles. La vie sociale et humaine ne doit pas être enfermée dans cette vanité misérable. Elle est une vaste arène peuplée de guerriers et d’éclaireurs qui se passent les uns aux autres le flambeau de la vie et des idées : pris et repris par mille mains, l’éternel flambeau porte partout sa mobile lumière, et Dieu attend qu’au terme de sa course, l’humanité le rapporte plus ardent et plus pur sur l’autel de Vesta.

Éteignez dans notre patrie le flambeau des idées, et nous nous égorgeons dans les ténèbres. Dans notre France, les institutions ne sont ni antiques ni puissantes ; nées d’hier, elles sont ou faibles ou défectueuses, ou déjà corrompues. Comment les fortifier, les corriger ou les régénérer, si ce n’est par la vertu de l’esprit humain, par le droit de la discussion et de la pensée ?

Si le législateur avait voulu enchaîner aujourd’hui le droit d’examen et de discussion, le monde moderne aurait eu tort de secouer le joug des puissances du moyen-âge, tort de rire des